“Les journalistes de demain devront repenser le métier sous un angle déontologique pour produire un travail d’utilité publique voire sociale” – Interview 

Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

Souvent décrié, parfois encensé, le métier de journaliste attire pourtant toujours autant. Alors pour tous ceux qui se destinent à cette carrière et qui vont devoir choisir leur filière de formation, cette interview est pour vous ! Découvrez la vision du métier de journaliste, aujourd’hui et demain, de Yannick Pech, co-auteur d’un ouvrage sur les concours des écoles de journalisme.

Co-auteur de l’ouvrage “Concours d’entrée en école de journalisme” réalisé avec Cécile Varin, Yannick Pech est enseignant et consultant en géopolitique et intelligence stratégique. Il est aussi chargé de cours dans une huitaine d’écoles de commerce et de journalisme, doctorant en sciences de l’information et de la communication, et par ailleurs analyste-consultant auprès du ministère de la Défense.

Dans votre ouvrage, vous évoquez les écoles reconnues. Restent-elles le tapis rouge pour accéder à l’emploi selon vous ? Quels sont leurs atouts et leurs inconvénients ?

Les écoles de journalisme reconnues restent la voie royale car elles font l’objet d’une reconnaissance officielle par la profession, et secondairement, pour la plupart elles sont aussi reconnues par l’État. Cela constitue leur premier atout, celui-ci conditionnant en grande partie les autres : rapidité d’obtention de la carte de presse ; « entrées » facilitées pour intégrer les réseaux corporatifs les plus influents/« prestigieux » (presse nationale, médias de référence…) ; meilleure accessibilité aux stages offerts par les grands groupes de presse ; réputation ; moyens mais surtout qualité de la pédagogie. Elles raflent aussi le plus clair des prix décernés par la profession. Dans le même temps, ces mêmes avantages induisent souvent des inconvénients : auto-reproduction d’une élite, vision conformiste du métier, uniformité (voire formatage) des apprenants, possible conservatisme de l’enseignement, aspects commerciaux survalorisés et tropisme marketing… Les concours d’entrée y sont par ailleurs très sélectifs, ce qui est certes signe d’exigence et de qualité, mais aussi d’un certain élitisme, aujourd’hui plus contesté. Au-delà de la question du niveau scolaire exigé des candidats, ces écoles peuvent ne pas correspondre à leurs attentes, voire engendrer de la désillusion.

Vous parlez aussi des écoles de journalisme non reconnues. Pourquoi ne doivent-elles pas être écartées selon vous ? Quels sont leurs atouts et leurs faiblesses d’après vous ?

Ainsi, les écoles non reconnues par la profession, mais pour certaines visées tout de même par l’Etat, forment une alternative intéressante. D’une part, parce qu’elles peuvent davantage correspondre à des étudiants plus indépendants d’esprit, originaux voire marginaux. Ceux-ci seront justement plus susceptibles de s’épanouir dans ces structures moins orthodoxes, et parfois également moins exigeantes. En effet, elles proposent souvent une approche moins conformiste et peuvent ainsi susciter l’envie d’innover et d’entreprendre. D’autre part, les concours exigeants des écoles reconnues peuvent écarter des candidats certes moins « performants », mais dans le même temps moins « scolaires » ; de plus, un étudiant « moyen » peut très bien atteindre au cours ou au terme de sa formation un excellent niveau académique. Le caractère arbitraire d’un concours peut tout à fait entraver voire torpiller une – très forte – vocation. Les écoles non reconnues sont donc plus flexibles quant à leur sélectivité, favorisant une certaine mixité sociale et donnant leur chance à des profils moins standardisés.

Les inconvénients qu’on prête généralement à ces écoles sont connus : réseaux professionnels moins denses et/ou plus locaux ; réputation moindre ou manque de visibilité, voire quasi confidentialité dans le paysage éducatif ; manque de moyens et/ou qualité inférieure de l’enseignement. Ce dernier point est toutefois assez peu fondé : en effet, les équipes pédagogiques peuvent présenter des qualités académiques et professionnelles analogues et il n’est, d’ailleurs, pas rare de retrouver les mêmes intervenants dans les écoles reconnues et celles qui ne le sont pas. En outre, leurs tarifs parfois supérieurs à ceux des écoles reconnues sont souvent gages d’un effort porté sur les équipements matériels (studios, parc informatique, appareils vidéo/photo…). En tout état de cause, qu’il s’agisse de la qualité des enseignements ou du prix des formations, c’est très disparate. Certains étudiants – dont c’était initialement l’objectif ou du fait de circonstances particulières dans le parcours – ont pu d’ailleurs atteindre des postes – dits – prestigieux en sortant d’une école spécialisée mais non reconnue. Il revient donc aux candidats de choisir leur école en connaissance de cause. Ce livre-manuel est à cet égard des plus utile, et par ailleurs le seul à ce jour à évoquer le cas de ces écoles moins reconnues.

Si vous ne deviez donner qu’un seul conseil pour réussir les différents concours, quel serait-il ?

Un concours, quel qu’il soit, repose sur plusieurs facteurs difficiles à maîtriser. Il y a un facteur chance, et évidemment un facteur travail et un autre reposant sur les qualités individuelles. Le conseil le plus important que je pourrais donner serait, d’une part, de bien choisir son école en fonction avant tout de ses attentes et de sa personnalité ; d’autre part, d’être curieux, rigoureux et méthodique dans sa préparation.

Le métier est en profonde mutation : quelles sont ces mutations actuelles et futures selon vous ? Quelles compétences ou savoir-faire les futurs diplômés devront posséder pour espérer faire carrière dans le journalisme ?

La mutation la plus évidente est le tournant numérique qu’opère la profession et qui nécessite une adaptation et de nouvelles compétences. Le métier connaît une certaine hybridation avec des métiers connexes, tels que ceux de la communication.
Les compétences métier deviennent de plus en plus transversales car elles sont unifiées et uniformisées par les technologies de l’information et de la communication. Le web journalisme, la data visualisation, les techniques d’investigation numérique, etc. deviennent incontournables, et les journalistes doivent donc maîtriser ces nouveaux outils et être dans le même temps polyvalents et spécialistes. Par ailleurs, comme pour bien d’autres métiers, « l’ubérisation » pose un sérieux défi : décentralisation de l’information ; rapport au « journalisme-citoyen » et concurrence informationnelle plus générale, dont la « réinformation » ; robotisation symbolique ou bien concrète du métier et des personnels de la presse.

Face à ces enjeux liés aux compétences professionnelles et à l’adaptabilité, les journalistes de demain – et avec eux les écoles qui les forment – devront sans doute repenser le métier notamment sous un angle déontologique. Ceci afin de redorer le blason de la profession auprès d’une société qui lui accorde moins de crédit et de confiance qu’auparavant. Et d’innover dans la manière d’informer et produire un travail indépendant, rigoureux et d’utilité publique voire sociale. Pour conclure, les aptitudes relationnelles, un bon bagage culturel, un esprit curieux et ouvert constituent et constitueront encore à l’avenir le socle des compétences requises. C’est ainsi que les journalistes de demain devront comprendre leur environnement, inventer, entreprendre, maîtriser les outils numériques en perpétuelle évolution, et même s’initier au code informatique.

Ecrit par : J. Bayard