Quel avenir attend le journalisme? Quels sont ses défis?

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Journalisme d'hier, d'aujourd'hui et de demain

«Mon inquiétude unique devant le journalisme actuel, c'est l'état de surexcitation nerveuse dans lequel il tient la nation. [...] Aujourd'hui, remarquez quelle importance démesurée prend le moindre fait. [...] Quand une affaire est finie, une autre commence. Les journaux ne cessent de vivre dans cette existence de casse-cou. Si les sujets d'émotion manquent, ils en inventent.»

Non, ce n'est pas le plus récent coup de gueule d'un nostalgique qui désespère devant la superficialité et le rythme affolant de l'information qui circule dans les sites Internet des grands médias, dans le réseau Twitter ou dans les chaînes d'informations télévisées en continu. Il s'agit plutôt de la critique virulente de la presse que dressait un certain Émile Zola, dans Le Figaro du 24 novembre... 1888!

La rapidité avant la véracité des faits

Pour caricaturer un peu, on pourrait dire que l'accélération de l'information nous expose à un danger similaire aux excès de vitesse en automobile : le risque augmente avec la rapidité du bolide. [...]

L'information politique sort-elle améliorée de ces nouveaux médias? Les amateurs de l'instantanéité en sortent gagnants : vous allumez la télé ou vous allez sur Internet, et vous savez immédiatement ce qui vient de se passer dans les corridors de l'Assemblée nationale ou du parlement d'Ottawa. [...] Bref, on vous tient «au courant». Mais à la fin de la journée ou de la semaine, serez-vous un citoyen mieux informé que votre voisin parce que vous aurez pris connaissance des nouvelles avant lui?

Le journalisme judiciaire : cultiver la distance

La justice vit à une autre époque. Peut-être plus fondamentalement cependant, le temps auquel vit la justice est un «autre temps», en ce sens que son travail est et doit être lent. Tout événement doit être patiemment décomposé et recomposé. La quête de la vérité, la recherche d'une conclusion, tout est long, tout est lent, tout est toujours reporté à une date ultérieure.

Voilà qui s'arrime assez mal à notre époque où tout doit se conclure rapidement, où les sujets arrivent et partent dans la même journée, vidés de leur substance médiatique; une époque où les nouvelles sont périmées plus vite que jamais, où tout passe, tout lasse au bout de quelques heures. [...] On aura beau imaginer toutes les réformes, le monde de la justice vivra toujours dans ces autres temps excentriques. [...]

Les dernières résistances judiciaires devant Twitter vont tranquillement s'estomper : il n'y a aucune raison juridique de forcer les journalistes à retenir l'information jusqu'à ce qu'ils puissent sortir de la salle d'audience. [...] Cette pratique n'est cependant pas sans conséquence. Le reportage judiciaire par le truchement de Twitter devient morcelé à l'extrême. C'est par fragments, par éclats qu'on se trouve à «tout» dire, tout de suite.

Presse écrite : priorité à la quête du sens

Quand de vieux journalistes parlent avec regret de la presse des années 60 ou 70, c'est avant tout de leur propre jeunesse qu'ils sont nostalgiques. Il faut faire l'exercice : passer un après-midi à la Grande Bibliothèque et relire les journaux de l'époque. On constate alors qu'on a tendance à idéaliser le passé. La presse d'avant souffrait de nombreuses carences. Le journalisme a beaucoup évolué.

Pour la presse écrite, miser sur la quête du sens et revenir à un certain classicisme dans la forme ne signifie pas un retour en arrière.

Au contraire, les journalistes de l'écrit doivent apprendre à exploiter à fond les outils modernes de recherche et de communication, de manière à offrir aux lecteurs toute la profondeur dont ceux-ci ont soif, et qu'ils ne trouvent ni à télévision, ni à la radio, ni sur le Web.

Le grand dérangement numérique

Il y a des jours où je me demande si ce que j'enseigne est encore du journalisme. Les étudiants de cette deuxième décennie du XXIe siècle sont des machines. Pas dans le sens robotique du terme, mais dans celui du prodige de polyvalence qu'on exige d'eux.

En trois ans, ils apprennent tous les métiers : la recherche, le reportage, toutes plateformes confondues, les responsabilités de l'affectation ou du pupitre. Ils doivent aussi devenir compétents sur le plan technique : mise en page d'un journal (oui, cela s'enseigne encore), publication en ligne, calibrage des couleurs sur un caméscope semi-professionnel, montage son et vidéo, entre autres. Et voilà que s'ajoutent, depuis quelques années, des notions d'informatique.

Et c'est sans compter tout ce qu'on ne leur montre pas, mais qu'on attend implicitement d'eux : avoir une solide culture générale et écrire mieux que Pierre Foglia tout en sachant se servir d'un ordinateur, d'un téléphone prétendument intelligent ou d'une tablette pour intervenir dans quantité de médias dits sociaux.

Le recours à la déontologie pour renouveler le journalisme

La culture des médias sociaux et des nouvelles en continu a imprimé une nouvelle réalité dans laquelle l'information circule à une vitesse excessive. Le traitement de l'information est, pour ainsi dire, à la remorque des nouveaux moyens technologiques. La production médiatique est prise dans un engrenage d'hyperproductivité, semblable à celui du hamster qui tourne en rond dans sa cage et ne peut s'en échapper. [...] Or, cette rapidité de production et de diffusion est mère de dérapages éthiques qui s'accumulent. C'est ce constat qu'on est à même de faire en voyant apparaître de nouveaux types de plaintes déposées au cours des dernières années devant le Conseil de presse du Québec, des plaintes concernant des propos présumés méprisants et discriminatoires sur les réseaux Facebook et Twitter. [...]

Pour assurer sa pérennité, le journalisme du XXIe siècle doit pouvoir se renouveler en tablant sur des valeurs sûres : un traitement de l'information et une analyse en profondeur des événements, la recherche de la vérité dans son intégralité, la diffusion de faits rigoureusement exacts et de témoignages humains inédits. En somme, un contenu hautement crédible et éthique - une valeur ajoutée

Rien n'a changé

La fameuse «révolution médiatique» qui emballe (un peu) et effraie (beaucoup) les salles de presse partout sur la planète est une vue de l'esprit. Ou presque.

Cessons d'évoquer un chambardement à la Gutenberg, faisons taire toutes les Cassandre. Les fouille-merdes resteront des fouille-merdes, à coups de linotype ou de pixels. Index tachés d'encre ou pouces usés par un écran tactile, même combat.

L'industrie évolue à toute allure, certes, mais ses fondations restent solides et ses grandes institutions demeurent. Le journaliste de 1915 serait ébahi par les moyens techniques déployés 100 ans plus tard par ses successeurs, mais s'apercevrait rapidement que le fond de l'affaire n'a pas tellement changé.

L'avenir est au transmédia

Où allons-nous? J'ai posé cette question à un patron de presse lors d'une conférence. Alors que je pensais qu'il avait mûrement réfléchi à ce fameux «changement» qui préside à la destinée de nos médias, sa réponse m'a désarmé : «Je ne sais pas, toi seul le sais. Ce sont des jeunes comme toi qui vont mener ce changement.»

Prenons-le au mot, alors. Au moment où nous aurions le plus besoin de jeunes journalistes pour renouveler nos façons de faire, beaucoup errent au rythme des tarifs méprisants de la pige ou des stages et des remplacements à la pièce. [...] Pour comprendre ce que souhaitent les jeunes, le début de la solution ne consisterait-il pas à faire davantage confiance aux professionnels de leur âge?

 

Ecrit par : G. Vialy et J. Bayard