Médias, un rôle démocratique à assumer

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VIVE LA POLITIQUE - Les Français portent un regard critique sur la façon dont les journalistes rendent compte de la politique, préférant une théâtralisation du jeu du pouvoir aux idées. Ils attendent des médias qu’ils assument leur rôle démocratique.

A un an de la présidentielle, nombre de médias réfléchissent à la manière dont ils couvriront ce rendez-vous majeur de la Ve République, conscients que le mode de traitement des événements et les débats conventionnels ne répondent plus aux aspirations des citoyens.

L’émission qui remplacera « Des paroles et des actes » sur France 2 donnera ainsi davantage la parole aux Français, comme le fait déjà depuis janvier Caroline Roux dans « C politique » sur France 5. Des citoyens pourront également interroger l’invité de la nouvelle émission politique de TF1 le dimanche à 19 heures, à l’ancienne heure du mythique « 7 sur 7 » d’Anne ­Sinclair.

Prime donnée au divertissement

« Si les grands rendez-vous politiques sont devenus rares et réservés aux personnalités de premier plan, la politique n’a jamais été aussi présente à la télévision, à travers les chaînes d’info et les émissions de divertissement, constate le politologue Pierre Leroux, coauteur de La Politique sur un plateau (1).

Depuis 2006, les émissions de divertissement sont devenues des lieux fréquentables pour les hommes politiques, dit-il encore. Ils ont compris qu’elles pouvaient leur servir et se sont formés à cet exercice. Mais les questions posées restent celles qui préoccupent les petits milieux de la politique. Comme ailleurs, on leur demande s’ils vont être candidats, et non pour y faire quoi. D’une façon générale, les médias s’intéressent à la politique lorsqu’elle est incarnée et qu’il y a une stratégie de conquête du pouvoir. »

La vie réelle réarrangée

Le sénateur des Hauts-de-Seine André Gattolin, ancien journaliste à Actuel et Libération, qui enseigne les sciences de l’information à l’université Sorbonne nouvelle-Paris 3, en fait l’amère expérience depuis son élection en 2011 : « Comme je suis membre d’Europe Écologie-Les Verts, les journalistes m’interrogent systématiquement sur les querelles de personnes au sein du parti. Ils vous octroient une crédibilité médiatique si vous êtes capables de réagir aux jeux du pouvoir. Dès que vous vous exprimez sur des sujets concernant la vie des citoyens, vous n’intéressez plus. »

En revanche, il s’est étonné de ne pas avoir été invité à un débat radiophonique qui avait pour sujet sa proposition de loi d’interdire la publicité dans les programmes de jeunesse. « On a préféré choisir des personnalités symboliques qui s’affrontent et créent des interactions. Les médias aiment construire un petit théâtre de la vie réelle. »

Un jeu de miroir

« La couverture de l’actualité politique est très axée sur la polémique et le clivage », acquiesce Marie-ève Malouines, ancienne journaliste politique à Radio France, aujourd’hui présidente de la chaîne parlementaire LCP-Assemblée nationale, un média donnant du temps aux débats d’idées et dont l’audience est en hausse.

Pour elle, il s’agit moins de connivences que d’« un jeu de miroirs ». « Les hommes politiques aiment s’admirer dans le regard des journalistes. Et réciproquement. La presse politique a évolué vers un fonctionnement égotique et dangereux, juge-t-elle. Moi aussi, je me suis sentie parfaitement à l’aise dans ce système. Il faut s’en extraire pour prendre conscience de ses méfaits. C’est un cercle qui happe les gens. »

« Le mode de traitement très institutionnel, centré sur les luttes d’appareil, les petites phrases et des calendriers calés sur l’agenda politique, ne fait sens que pour ceux que cela passionne, renchérit Erik Neveu, sociologue et politologue à l’université de Rennes. Cela donne le sentiment que les journalistes s’adressent davantage à leurs sources qu’aux citoyens, d’où l’idée d’un théâtre de l’ombre », qui jette l’opprobre sur le système démocratique dans son ensemble. Encore cette année, 64 % des personnes interrogées dans le baromètre de confiance dans les médias TNS Sofres-La Croix jugent (contre 58 % en 2015) que les journalistes ne sont pas indépendants des partis politiques et du pouvoir.

Des systèmes entremêlés

Comment en est-on arrivé là ? « Les journalistes politiques ont intégré une logique de travail consistant à s’approcher du pouvoir pour obtenir des informations confidentielles, ce qui les rend peu à peu prisonniers des schémas de pensée de ceux qu’ils fréquentent, analyse Pierre Leroux. Et les stratégies de communication politique visent non pas les citoyens mais les journalistes : le poids du détenteur de pouvoir sera d’autant plus important dans la décision politique qu’il est médiatisé. »

Ces jeux d’influence entre systèmes médiatique et politique n’empêchent pas l’éthique et la réflexion. « Chacun a sa part de responsabilité, assure André Gattolin. Les politiques se sont décrédibilisés, en se pliant au jeu des petites phrases et des postures. Quant aux médias, ils sont entrés dans une logique d’immédiateté, qui a conduit à une hypertrophie du présent et un effacement du passé, de la mise en perspective. L’erreur de la politique est de l’avoir accepté. L’idée de la réactivité permanente est destructrice de sens. Cela va à l’encontre du rôle du politique, qui devrait être de construire un horizon, de trouver des solutions. La loi étant un temps long, beaucoup trop long pour les médias, ils se rabattent sur la théâtralité de sa production. Il nous appartient de redonner une vision du politique, un sens du bien commun. »

Réinvestir le débat public

Face au désenchantement politique et à la montée de l’extrême droite, des médias font leur examen de conscience. « Nous nous efforçons, sur LCP, de toujours privilégier le contenu sur la forme, le spectaculaire, souligne Marie-ève Malouines. Nous devons aussi collectivement prendre en compte un mouvement riche et hétérogène comme Nuit debout, qui révèle une attente de débats et de participation à la vie politique. »

Stéphane Paoli, producteur de l’émission « Agora »sur France Inter, qui confronte chaque dimanche midi une personnalité politique avec des acteurs de la société civile, en est lui aussi convaincu. « Nuit debout traduit un besoin absolu d’expression et d’horizontalité dans la décision. Une forme d’émission comme “Agora” montre qu’en prenant le temps et en encourageant l’argumentation on change le contenu et la façon dont les personnalités politiques s’expriment. »

Le philosophe Pierre-Olivier Monteil montre la même direction (lire La Croix du 3 février 2016), lorsqu’il invite les médias « à redonner aux Français le sentiment de participer au débat public », des médias, dont la raison d’être est elle aussi de « contribuer au bien commun ».

Deux conceptions de la liberté d’expression

La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, inspirée du contrat social de Jean-Jacques Rousseau, dispose dans son article 11 que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ». Cette liberté peut être limitée s’il en est fait « abus », « dans les cas déterminés par la loi ».

À la même époque, le premier amendement de la Constitution américaine de 1791 stipule que « le Congrès ne fera aucune loi restreignant la liberté de parole ou de presse ». Dans la conception anglo-saxonne, inspirée par Thomas Hobbes, John Milton et John Locke, la liberté individuelle se construit contre un pouvoir potentiellement despotique. Et la liberté d’expression en est le premier rempart.

Ecrit par : G. Vialy et J. Bayard