UN ORDRE DES JOURNALISTES EST-IL CONFORME A LA CONSTITUTION ?

logo

Le Conseil de l 'Ordre des Journalistes (COJ) débats en partenariat avec le Comité d Éthique des journalistes de France (CEJF) et le Conseil de Presse de France sur ce thème

 

La question est pertinente car l’évolution du métier accentue les problématiques de déontologie. Premièrement, parce qu’il faut resituer le métier de journaliste dans son objet. C’est un métier qui doit s’exercer dans la liberté car par définition, la presse, la radio, la télévision et les supports numériques sont libres. Mais en soi, cela ne justifie pas la création d’un ordre des journalistes. Deuxièmement, c’est avec l’évolution du concept information que la question de la déontologie du journaliste doit être posée et qu’un ordre des journalistes pourrait être envisagé. L’information est au cœur de la démocratie. Précisément, c’est le pluralisme de l’information qui est l’une des garanties de la démocratie, de la liberté d’expression. Donc les journalistes exercent un métier qui répond à un objectif de valeur constitutionnelle. D’une part, le Conseil constitutionnel a posé le principe selon lequel le pluralisme de l’information est un objectif constitutionnel et d’autre part, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Convention européenne des droits de l’homme et du citoyen, enrichies par les jurisprudences de la Cour de Strasbourg, garantissent la liberté d’expression et d’information.

Pour la première fois, la loi française a défini, de manière malheureuse car la rédaction est contradictoire et ambiguë, la confidentialité des sources et son inviolabilité comme étant la spécificité du métier journalistique. Les professionnels possèdent donc un droit inaliénable à  la confidentialité des sources, ce qui pourrait s’apparenter au secret professionnel des médecins ou de celui des avocats. Or, il existe des ordres d’avocats et de médecins qui sont là pour protéger le secret qui est dû aux patients et aux clients, instance qui n’existe pas chez les journalistes. Aujourd’hui le parallélisme est clairement établi.

A défaut d’avoir un organe de nature déontologique, les journalistes se sont vus imposer, par les juges, une déontologie, notamment en matière de répression de la loi sur la presse (actions en diffamations, injures etc.). Aujourd’hui, ce sont les juges et personne d’autre qui sont de fait légitimes pour déterminer les critères de « bonne information » du caractère licite ou illicite de l’information. Les juges ont ainsi apprécié, avec subtilité d’ailleurs, que l’information n’était pas diffamatoire dès lors qu’elle répondait à un objectif légitime, qu’elle était publiée aux termes d’une enquête sérieuse et contradictoire effectuée sans intention de nuire, et que son expression renfermait la prudence et la modération nécessaires. On assiste dès lors à un ensemble jurisprudentiel où les juges ont fait le travail d’un organisme déontologique qui n’existait pas. N’oublions pas qu’ils sont gardiens constitutionnels des libertés.

Cette question, la création d’un ordre de journaliste, se pose aujourd’hui si l’on veut défendre l’information et la profession. Il faut concevoir un ordre des journalistes, non pas de manière corporatiste, mais un ordre qui serait là pour défendre ceux dont le métier est l’information et ainsi protéger la liberté de l’information.

La création d’un tel organe (un ordre des journalistes) pourrait-elle nuire à l’indépendance des journalistes ?

Cela ne réduit pas leur indépendance, car cet ordre des journalistes serait élu par les journalistes eux-mêmes. Il faudrait un ordre national des journalistes, appelons-le comme on voudra, élus par les professionnels et dont la fonction serait précisément d’agir en concertation avec les pouvoirs publics, sur la confidentialité des sources par exemple.

 

Si cet ordre des journalistes existait, de quels pouvoirs de sanction serait-il doté ?

Sanctionner est très compliqué. Autant l’ordre doit formuler la règle, autant la sanction ne doit être dictée que par les juges, seuls habilités. Nous sommes  hostiles à ce que les médecins, tout comme les avocats, exercent seuls un pouvoir de sanction sur leurs pairs. Un magistrat administratif préside la commission disciplinaire de l’ordre des médecins et la Cour d’appel examine les recours formés contre les décisions disciplinaires. S’agissant de sanctions ayant un effet sur le patrimoine des avocats, il faudrait d’ailleurs qu’il y ait un juge dès la première instance car ce sont des droits constitutionnels qui sont en cause dont le droit au travail et le droit de propriété.

Un ordre des journalistes pourrait trouver des formules, des solutions pour  la profession, parce que là, pour le coup, il n’y en a pas. L’avis des professionnels de cet ordre des journalistes pourrait remplir une mission arbitrale mais la sanction doit ensuite être réservée aux magistrats et non aux professionnels seuls. C’est le cas par exemple pour le Conseil de l’ordre des médecins dont la commission disciplinaire est présidée par un magistrat.

Pourquoi les patrons de presse, les rédactions n’ont pas approuvé les chartes de déontologie ou créé un « ordre des journalistes »?

Ces Chartes devraient être approuvées par le chef d’entreprise. Nous ne sommes d’ailleurs pas favorables au droit de veto des journalistes car cela inscrit les relations du travail dans un rapport conflictuel constant. Il faut faire accepter au chef d’entreprise un certain nombre d’engagements réciproques et surtout l’autonomie déontologique de la rédaction. Pas besoin du veto pour cela.

Il se peut que les patrons de presse voient d’un mauvais œil ces chartes déontologiques car elles sont parfois vécues comme des instruments de conflits et de lutte, là où elles devraient permettre de prévenir des blocages.

On ne peut pas vivre chaque jour dans une guerre de tranchée. Il faut faire partager cette culture des droits à l'employeur. La Charte est là pour permettre de créer des obligations réciproques et de trouver des solutions qui ne relèvent pas exactement du droit du travail.

Pour répondre à la deuxième question : les professionnels ont la crainte d’avoir un ordre qui les muselle ?

A titre d’exemple, il a été démontré que l’ordre des avocats ou celui des médecins n’ont pas été de bons exemples, donc on peut concevoir que les journalistes soient devenus méfiants. Dans l’histoire, l’ordre des avocats ou celui des médecins n’a pas toujours été dans le camp de la liberté.

Pour quelles raisons les candidats à l’élection présidentielle ne se sont pas pour le moment  emparés de cette problématique ?

Notre sentiment premier est que les candidats n’y connaissent pas grand-chose. Ce n’est pas un défaut d’intérêt, mais ils vont prendre position pour les patrons ou les journalistes, au gré de leurs inclinations alors que souvent l’analyse reste très rudimentaire. Par exemple, pour qu’existe la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004, il a fallu attendre entre 7 et 8 ans. Les lois deviennent de plus en plus compliquées, c’est une évolution démocratique normale mais cela demande une connaissance affûtée des textes par celles et ceux qui les votent. Il faudrait que les députés ne consacrent leur temps qu’à leur seul mandat de député. C’est impératif.

 Ecrit par : G. Vialy et J. Bayard