Le quatrième pouvoir

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La presse est qualifiée de 4ème pouvoir et a été longtemps considérée comme un contre-pouvoir au pouvoir politique en place. L’information est un bien commun . Communiquer librement, un droit. Les groupes multimédias enterrent ce droit. Contre les abus de pouvoir, la presse et les médias ont été, pendant de longues décennies, dans le cadre démocratique, un recours des citoyens. Les journalistes et les médias ont souvent considéré comme un devoir majeur de dénoncer les violations des droits. C’est pour cette raison que l’on a longtemps parlé du « quatrième pouvoir », ou encore de la « voix des sans voix » A mesure que la mondialisation libérale s’est accélérée, ce 4ème pouvoir a été vidé de son sens. Il a perdu peu à peu sa fonction essentielle de contre-pouvoir. Avec le capitalisme financier qui est en fait un capitalisme de la spéculation, on assiste à un brutal affrontement entre le marché et l’Etat, entre le secteur privé et les services publics, entre l’individu et le société , entre l’intime et le collectif (le groupe), entre l’égoïsme et la solidarité. Le pouvoir véritable est désormais détenu par un faisceau de groupes économiques planétaires et d’entreprises globales dont le poids dans les affaires du monde apparaît parfois plus important que celui des gouvernements et des Etats. Ils ont une logique : le marché. Ils ont une idéologie : le néolibéralisme. Ce sont eux qui inspirent les politiques du FMI, de la Banque mondiale et de l’OMC. C’est dans ce contexte que s’est produite une métamorphose décisive dans le champ particulier des médias de masse. Les moyens de communication de masse (radios, presse écrite, télévision, Internet) se regroupent au sein d’architectures foisonnantes pour constituer des groupes médiatiques à vocation mondiale. Pour la France : Bouygues, RTL Group, Vivendi, Lagardère, Bolloré (voir fichier Bolloré)… La révolution numérique a brisé les frontières qui séparaient auparavant les trois formes traditionnelles de la communication : son, écrit, image, avec l’essor de l’Internet et de la téléphonie. Ces groupes rassemblent tous les supports médiatiques mais également des activités autrefois distinctes : - la culture de masse (créations populaires, jeux, objectifs mercantiles) - La communication (publicité, marketing, sondages) - L’information (agences de presse, journaux, bulletins radio et télévisé, chaînes d’infos en continu), univers logiquement réservé aux journalistes. Tout cela est si imbriqué que la distinction devient très difficile entre ces activités. Ainsi, les fournisseurs d’accès Internet, Yahoo et Orange, sont aussi des moteurs de recherche, des sources d’informations sur l’actualité, des fournisseurs de jeux en ligne etc… Ces grands groupes ont désormais deux caractéristiques nouvelles : 1) Ils s’occupent de toutes les activités à la fois et utilisent tous les supports de diffusion. 2) Ils sont mondiaux. Se souvenir que « Citizen Kane », le magnat de la presse William Hearst, ne possédait que quelques journaux dans un seul pays. (film d’Orson Wells 1940). Par leur poids économique et par leur pouvoir d’influence, ils deviennent les acteurs centraux de la mondialisation libérale. Préoccupés par la poursuite de leur gigantisme, Ils font pression sur les gouvernements pour briser les lois limitant les concentrations. Amenés à courtiser le pouvoir politique, ils n’ont plus l’objectif de s’ériger en « quatrième pouvoir » et encore moins d’agir comme un contre-pouvoir. Mais dans les pays en voie de développement, (comme en Amérique du sud), en cas d’élection d’un gouvernement progressiste, ils peuvent déclencher une véritable guerre médiatique et prennent le parti de l’oligarchie évincée (ex : Vénézuéla et Bolivie). Dans les pays avancés, ils ne s’opposeront pas à l’idée d’alternance, mais favoriseront par mille moyens l’expression d’opposants qui ne contestent pas le principe de l’économie libérale, au détriment de ceux qui remettent en question la loi du marché tout puissant et celle du libre échange. ces groupes ne sont pas des groupes multimédias exclusif (comme Murdoch, Bertelsmann ou Berlusconi), mais sont adossés à des groupes industriels puissants et qui partagent entre eux, sans problèmes, le capital de leur branche média ( Bouygues, Lagardère, Arnault, Vivendi). L’autre caractéristique c’est le fait que les grands groupes étrangers se tiennent à distance du débat politique et laissent les groupes français se partager la presse quotidienne et les magazines politiques. La liberté des médias n’est que l’extension de la liberté collective d’expression, fondement de la démocratie. En tant que telle, elle ne peut être confisquée par un groupe de puissants. Elle implique de surcroît une « responsabilité sociale », et par conséquent, son exercice doit demeurer, en dernière instance, sous le contrôle responsable de la société. Les médias sont aujourd’hui le seul pouvoir sans contre-pouvoir, et cela crée un déséquilibre dommageable pour la démocratie. Le rôle des médias Le rôle des médias, leur pouvoir d’influence sur l’opinion et sur les hommes politiques, le problème de leur contrôle, sont sans doute le premier enjeu pour notre démocratie. La concentration de l’industrie des médias entre quelques groupes multimédias a atteint un degré jamais vu à ce jour. Le contexte européen, avec les directives libérales, n’est pas étranger à cette évolution. De plus, ces groupes qui souvent se partagent un secteur à deux ou trois, loin de se concurrencer, préfèrent s’allier (exemples de la téléphonie mobile, des chaînes satellites, de la production d’images etc…). L’énergie vitale qui irrigue cette industrie, c’est essentiellement la publicité. Et quand les annonceurs, qui payent, appartiennent au groupe qui possède le média, (c’est le cas pour les produits de luxe des groupes Arnault et Pinault), on peut dire que c’est le consommateur de ces produits qui finance sa propre dépendance. L’univers médiatique est immense et foisonnant. Les éléments de dossier qui suivent, ne font pas le tour de la question. Des secteurs très importants comme les chaînes de télévision par satellite, la téléphonie mobile et Internet, ne sont pas développés. Internet est d’ailleurs l’enjeu majeur pour l’expansion du marché publicitaire et donc pour la marchandisation totale de ce média encore un peu préservé. L’idée, c’est de mettre un éclairage sur les pouvoirs qui s’affrontent, les moyens mis en œuvre et les valeurs menacées. QUELQUES QUESTIONS QUI SE POSENT Le rapport des médias au citoyen. - Ou en est le droit à l’information. - L’expression du pluralisme politique et philosophique au sens large. - Le pouvoir médiatique a-t-il changé de nature (autrefois contre-pouvoir). - Le double poids de l’Industrie et de la Finance sur les médias, par l’intermédiaire des actionnaires principaux et des annonceurs (le journalisme économique). L’aspect économique du pouvoir médiatique. - Le rôle moteur de la publicité. - les groupes multimédias purs sont moins puissants que les groupes industriels qui utilisent leur branche média pour « booster » leurs autres activités et disposer d’un pouvoir d’influence. - La non concurrence de ces groupes entre eux, qui préfèrent s’allier aux dépens des usagers. Le rapport à la politique. - La collusion avec les hommes politiques : Les va et vient entre les cabinets ministériels et les grands groupes semblent être devenus la règle et non pas l’exception. - Le rapport aux intellectuels. - La collaboration voire la trahison des élites éduquées qui ont accepté l’idée de la globalisation heureuse qui profiterait à tous, sans voir que cette concentration de plus en plus homogène et monolithique dans les médias signait un recul de la démocratie. - REGLEMENTATION DES MEDIAS EN FRANCE Déclaration des droits de l’Homme : le 27 juin 1789 l’Assemblée Nationale décide de faire précéder la future Constitution d’une déclaration des droits. Le 24 août 1789 article11 « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». (base du pluralisme à la française). La loi de 1881 sur la liberté de la presse. La censure en 1914 (1916 naissance du Canard enchaîné en réaction). Elle est à l’origine de l’expression « bourrage de crâne ». L’occupation renforce la méfiance : le tirage des journaux s’effondre. Ordonnance du 26/08/44 : Le propriétaire ou le Président du conseil d’administration est le directeur de la publication. Il en est le responsable sur le plan pénal. 1946 : Principe du « 1 homme 1 journal ». 1947 : Principe de la distribution des journaux égale pour tous. Années 70 : concentration de la presse : le cas Robert Hersant. Dans les années 70/80, le prix des journaux augmente (x4 entre 70 et 84). A partir de 1980, début de la baisse des tirages. Loi du 23/10/84 : Loi anti-concentration basée sur la diffusion (limite des15% de la diffusion des journaux de même type au plan national ou régional). Loi du 01/08/86 (Chirac) : ce pourcentage est remonté à 30%. Loi du 30/09/86 modifiée le 13/08/2000 sur la liberté de communication. Les sociétés nationales de programmes « assurent l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information ainsi que l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans le respect du principe d’égalité du traitement et des recommandations du CSA ». La règle des 3 tiers du CSA est au départ une directive de l’ORTF en 1969 :1/3 de temps d’antenne pour le gouvernement, 1/3 pour la majorité parlementaire, 1/3 pour l’opposition parlementaire. Le Président n’est pas concerné.En 2000, est ajouté une exigence de « représentation équitable » pour les groupes qui ne sont pas représentés au Parlement. En 2008, un groupe ne peut détenir dans une chaîne hertzienne plus de 49% de son capital. Ainsi Vivendi possède 49% de sa filiale qui contrôle la chaîne Canal+ et Bouygues 43% de TF1. Mais si la chaîne réalise moins de 2,5% de part d’audience, le groupe peut détenir plus de 49%.Un amendement adopté par le gouvernement pour le projet de loi de modernisation de l’économie propose de porter à 8% la part d’audience. Cela permet à M6 de garder la chaîne W9 à 100%, à Bolloré de garder Direct 8 à 100%. LE CONTROLE DE L’OPINION POLITIQUE DANS LA PRESSE ECRITE Depuis la chute de l’URSS en 1991, le débat d’idées dans les médias n’est plus de nature politique. Ce qui est recherché, c’est le consentement de l’opinion au système économique en vigueur (le libéralisme mondialisé). L’expression des forces politiques et sociales est donc plus ou moins facilitée, selon qu’elles remettent ou non en cause ce système. Les multinationales, qui ont le pouvoir réel, contrôlent les médias. Ceux-ci œuvrent jour après jour à créer les « illusions nécessaires » préalables à ce consentement. En 2008, en France, on peut dire que le pluralisme politique dans les médias est gravement mis en cause. La concentration capitalistique de la presse française est telle, que l’essentiel du pouvoir d’influence est détenu par une demi douzaine de groupes nationaux. QUI PAYE COMMANDE La presse, c’est principalement : 4 quotidiens gratuits, 9 quotidiens nationaux, 27 magazines et 36 quotidiens régionaux (sans compter une myriade de petites publications locales également détenues par les mêmes groupes). Voir en annexe « qui possède la Presse ». L’immense majorité de ces journaux appartient à une dizaine de grands groupes. Soit des groupes industriels qui ont investi dans la communication, soit des groupes de presse, authentiques, mais qui partagent leur pouvoir avec ces mêmes industriels par le biais de la participation au capital de ces derniers. Aux postes clés, sont nommés des directeurs et des journalistes expérimentés qui sauront trier et sélectionner les infos et donner les points de vue raisonnables. QUELQUES EXCEPTIONS : Croix », propriété à 100% des assomptionnistes, «L’ Humanité » propriété à 70% de ses lecteurs, de son personnel et de membres du Parti,( mais quand même 20% pour : Hachette, TF1et Caisse d’Epargne), « Ouest -France » détenu à près de 100% par une association humaniste d’obédience catholique (Jacques Duquesne , Président) , le groupe « Sud Ouest » qui appartient à une famille bordelaise, et «Le Nouvel Observateur » propriété de Claude Perdriel heureux fabricant des sanibroyeurs SFA. On a, à peu près, fait le tour des journaux dont le capital est homogène depuis longtemps. La privatisation progressive des nouveaux médias dans les années 80, se fait dans un vide législatif qui favorise la concentration dans de grands groupes multimédias. LA PRESSE ECRITE RESTE UN MEDIA MAJEUR Malgré la concurrence des autres médias, son pouvoir d’influence reste grand : - Les articles de presse servent de matière première aux journalistes des radios et télés pour préparer leur propre journal, puisqu’ils n’investiguent pas eux-mêmes. - Des émissions radio sont coproduites avec des journaux. - Les sites Internet s’en nourrissent également beaucoup. - La Presse quotidienne régionale (PQR) se porte encore bien et joue un rôle important dans les périodes d’élections locales. Elle sert également de support et de porte voix aux chroniqueurs nationaux qui apportent la bonne parole dans les régions. - C’est elle qui commande le plus de sondages politiques ou sociétaux. Ceux-ci sont repris dans les autres médias et permettent au journal concerné d’être cité régulièrement. Elle joue ainsi un rôle majeur dans la fabrique du consentement. - Les revues de presse tiennent une place importante dans les radios. Elles permettent de faire passer des commentaires orientés sans trop impliquer le journaliste qui les reprend. Elles servent aussi à mettre en scène une info ou à lui donner plus de force. La revue de presse est un art délicat que l’on ne confie pas à n’importe qui. Certains se souviennent peut-être de l’expérience, tenté par France Inter pendant quelques semaines, et qui n’a jamais été renouvelée. Il s’agissait de confier à l’invité politique de la matinale le soin de confectionner sa propre revue de presse à partir des journaux utilisés habituellement par le journaliste. Celle de Marie Georges Buffet, à connotation très sociale, était tellement décapante qu’on fut en droit de s’interroger sur le degré de sincérité de cet exercice les autres jours. LE JOURNALISME ECONOMIQUE ET SON SUPPORT MEDIATIQUE A part 3 exceptions marginales : l’Humanité, le Monde diplomatique et Politis, les autres journaux montrent une forte homogénéité idéologique. Le plus souvent, le journaliste économique vient de la presse écrite. Il peut disposer d’une chronique complémentaire à la radio ou à la télé. Sa position dominante sera proportionnelle à l’étendue de l’audience ou à l’autorité du média sur lequel il s’exprime. En conjuguant un ou deux de ces critères, on trouve aux premiers plans: - Les télés radios : TF1, France2, France Inter, Europe1, RTL, France Info. - La presse générale : Le Monde, Libération, Le Figaro, Le Nouvel Observateur, l’Express. - La presse économique : Les Echos, La Tribune, l’Expansion. Ces médias engagent une vision du monde particulière dont les éléments sont les suivants : - l’économie peut-être isolée de l’ensemble des activités humaines et donc traitée à part. - L’économie est séparée du social. Contrairement à aujourd’hui, le journal Le Monde des années 70 avait une seule rubrique « économique et sociale ». De même, on a séparé « l’immobilier » à connotation économique, du « logement » à connotation politique et sociale. - Le journaliste économique, aujourd’hui fournit des informations aux agents économiques ou des conseils aux simples consommateurs, mais n’explique plus les rouages de l’économie et les rapports de force qui la sous-tendent. - Le point de vue est réducteur : les enjeux de santé ou d’éducation sont réduits à des considérations de coût. EFFETS DE LA RESTRUCTURATION DE LA PRESSE ECRITE. Elle a limité le poids des groupes dont la presse est le seul métier. D’où des conflits d’intérêt à plusieurs niveaux : 1) Le plus souvent ce sont des groupes capitalistes dont les autres activités principales peuvent entrer en contradiction avec les infos économiques à traiter. 2) Il y a conflit potentiel avec les annonceurs du journal qui sont des groupes de même types (ex : industries du luxe…) 3) Les sources des journalistes sont le plus souvent les dirigeants de toutes ces entreprises. 4) Mais le conflit potentiel peut être plus large, quand il s’agit par exemple de juger du bien fondé des privatisations quand on parle sur une chaîne privée. 5) Enfin, il y a le poids du lectorat qui, en majorité, vient chercher des informations sur l’économie et n’est pas prêt pour des remises en question profondes. LA TELEVISION PRIVEE La télé privée est aux mains de trois groupes industriels multinationaux (Bouygues, Lagardère et Vivendi) et d’un grand groupe de la communication, Bertelsmann. Ils sont présents dans les autres médias : presse écrite, radios, cinéma, musique. A l’affrontement, ces groupes préfèrent des stratégies d’alliance. Les concurrents deviennent partenaires et se ménagent entre eux. L’ampleur de cette concentration et de ces alliances met en cause l’indépendance des hommes politiques vis à vis des médias, le pluralisme et la qualité de l’information. Elle rend nécessaire l’adoption d’une loi limitant réellement cette concentration. La présentation qui suit date de 2004 (Observatoire français des médias), et bien sûr la répartition du capital a pu se modifier. Mais la tendance à la concentration et aux ententes reste la même. 

 Ecrit par : G. Vialy et J. Bayard