Présidentielle 2017 : Et si les réseaux sociaux comptaient plus que la télévision ?

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Pour le spécialistes des médias, Jean-Marie Charon la réforme du temps de parole dans la campagne présidentielle n'aura pas d'influence. Selon lui, les réseaux sociaux, les sites d'information ou les blogs comptent autant ou plus que la télévision.


Jean-Marie Charon est sociologue et chercheur au CNRS. Il enseigne à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, à Paris, ainsi qu'à l'IEP de Rennes. Il travaille en particulier sur les médias, et publie de nombreux ouvrages sur le sujet, dont Les Journalistes et leur public: le grand malentendu (Vuibert)


Les députés ont voté lundi une loi modifiant les règles de l'élection présidentielle. Les rédactions audiovisuelles ne sont plus obligées d'appliquer une stricte égalité de parole entre «petits» et «gros» candidats avant la campagne officielle. Que cela vous inspire-t-il?

Jean-Marie Charon: Il est normal que les règles changent alors même que l'offre de médias s'est complètement transformée et que les pratiques du public évoluent rapidement. Qu'est-ce que signifie comptabiliser le temps de parole à l'heure de la télévision délinéarisée, à l'heure aussi du 2ème, voire 3ème écran de l'ordinateur, du Smartphone, etc. Va-t-on compter le nombre de retweet ou de partage de vidéos sur Facebook durant une émission qui reçoit un candidat? Rappelons que selon l'étude 24/7 de Médiamétrie, 88% des personnes qui se voient recommander une vidéo, vont la consulter…

La polarisation sur une télévision dont les chaînes se sont démultipliées relève du contresens, alors même que, toujours selon la même étude de Médiamétrie, 38% des personnes interrogées disent s'informer par les médias numériques et que77% des 18-24 ans déclarent utiliser en priorité les médias digitaux pour s'informer.

Enfin il est temps que l'élargissement considérable de l'offre de supports d'information rende aux rédactions leur nécessaire responsabilité dans ce domaine et que les journalistes de radio et télévision puissent faire réellement leur travail dans la période de la plus haute intensité de nos institutions démocratiques.

Cela ne va-t-il pas avantager les candidats des grands partis? Que répondez-vous à ceux qui évoquent un déni de démocratie?

Le déni de démocratie c'était d'abord ce carcans horaire qui faisait que se polarisant sur le temps consacré à une dizaine de candidats, les journalistes pouvaient plus réellement nous informer. Qu'est-ce qu'une information où la hiérarchisation de l'information, la mise en perspective, l'analyse s'effacent derrière le comptage du temps consacré à chaque candidat?

Comme si par ailleurs la presse écrite ne comptait pas ou plus. Comme si surtout petits et grands candidats ignoraient les réseaux sociaux, les sites d'information ou les blogs. Comme si la réceptivité des électeurs / public aux arguments et projets des candidats n'était que question de temps d'exposition.

La télévision des futures présidentielles aura encore changé, comme la place de ce média dans les pratiques d'information. Il faut donc adopter une attitude pragmatique, qui donne davantage d'initiative et de responsabilité aux rédactions et à la société elle-même.

Le principe de l'équité désormais appliqué, n'est-il pas un peu flou?

Dans un paysage médiatique aussi diversifié que le nôtre, avec notamment la place que prend le numérique et tout particulièrement les réseaux sociaux, la véritable équité devra reposer sur le professionnalisme des rédactions et la vigilance d'électeurs disposant d'outils aussi réactifs que les plateformes d'échanges de vidéos ou les réseaux sociaux. Les derniers événements dramatiques que la France et l'Europe ont connu montrent bien la place qu'occupent ces outils. Pour le meilleur et pour le pire. Exigeant des rédactions d'être plus précises, plus rigoureuses, plus vigilantes, comme le montre le développement du fact checking.

En outre il revient au CSA d'éclairer les rédactions sur son interprétation de ce principe d'équité, en souhaitant qu'il ait lui-même cette ouverture aux évolutions des pratiques du public.

Avec la multiplication des chaînes de télé le précédent système était-il applicable?

La question est moins celle du nombre de chaînes que celle de l'évolution des pratiques du public qui peut accéder aux émissions n'importe quand et autant fois qu'il le souhaite. La question est de ce point de vue moins de savoir si le système est applicable que de s'interroger sur son utilité et ses inconvénients. Or ces inconvénients, lorsque les candidats sont nombreux est qu'il fige le travail journalistique durant de longues semaines, les plus cruciales d'une campagne électorale.

Existe-t-il un système qui pourrait satisfaire tout le monde? Lequel?

Nous sommes en plein bouleversement du paysage des médias et de l'information et ce bouleversement est appelé à se prolonger. La télévision d'aujourd'hui n'est pas celle qui avait justifié les règles appliquées jusqu'à ces derniers temps en France. La télévision des futures présidentielles aura encore changé, comme la place de ce média dans les pratiques d'information. Il faut donc adopter une attitude pragmatique, qui donne davantage d'initiative et de responsabilité aux rédactions et à la société elle-même.

Quels sont les règles dans les autres démocraties?

Les comparaisons sont difficiles dans cette matière tant le traitement des élections dépends des institutions démocratiques elles-mêmes. Peu de pays élisent leurs dirigeants au suffrage direct, notamment en Europe. Dans des démocraties qui donnent davantage de place aux parlements et aux partis politiques, il est naturel de tenir compte de la représentation parlementaire des différents partis. C'est le cas en Espagne ou au Royaume uni. Dans ce cas la référence est celle du nombre de siège obtenus par les uns et les autres aux précédents scrutins. Par ailleurs le public peut être davantage réglementé que le privé, comme en Espagne. Les formes d'information peuvent aussi être plus ou moins encadrées, comme les débats qui échappent à la réglementation du temps, outre-manche.

L'élection présidentielle française est souvent mise en perspective avec celle des Etats Unis. C'est peu dire que les systèmes d'information et les règles qui s'y appliquent ont peu de point commun avec les nôtres. Un pays où prévaut le 1er amendement qui stipule l'impossibilité de légiférer en matière d'information.

 Ecrit par : G. Vialy et J. Bayard