Relations entre journalistes et politiques : "Nous avons perduré dans un entre-soi qui s'est même accentué sous la Ve République"

 

L'Elysée a provoqué une levée de boucliers après avoir tenté de choisir les journalistes qui suivront les déplacements d'Emmanuel Macron. Franceinfo revient sur les relations entre le pouvoir et la presse en interrogeant l'historien Alexis Lévrier.

Après le tollé, bientôt l'apaisement ? "Les journalistes qui se sont inquiétés peuvent se rassurer : l'Elysée n'entend pas faire le travail des rédactions", a écrit l'Elysée dans un courrier adressé à Reporters sans frontières (RSF), vendredi 19 mai. La veille, 25 rédactions, dont franceinfo, ont bondi après avoir appris que l'Elysée comptait choisir les journalistes qui couvriront les déplacements d'Emmanuel Macron.

"L’idée est de permettre à plusieurs journalistes de chaque rédaction d’avoir un regard sur la présidence, au lieu de s’enfermer dans un tête-à-tête avec quelques journalistes politiques", s'est justifié l'Elysée. Pour mieux comprendre cette polémique, franceinfo a interrogé Alexis Lévrier, historien de la presse et des médias, auteur de Le Contact et la distance (éd. Les Petits Matins).

Franceinfo : Que pensez-vous de la fronde de la presse dans cette affaire ?

Alexis Lévrier : La presse est tout à fait dans son rôle en refusant que l'Elysée choisisse les journalistes lors des déplacements d'Emmanuel Macron. Je comprends la tentative de verrouillage de la communication voulue par l'Elysée pour redonner de la solennité à la fonction présidentielle, mais Emmanuel Macron franchit une sorte de Rubicon en tentant de choisir ses propres journalistes, en essayant de limiter la liberté d'information. C'est d'autant plus décevant que pendant la campagne, il était l'un des rares candidats à ne pas attaquer systématiquement la presse. On avait le sentiment qu'il la respectait, même lorsqu'elle l'attaquait.

Emmanuel Macron veut raréfier la parole du président de la République. Choisir les journalistes pour les déplacements présidentiels va peut-être dans ce sens...

Je comprends son besoin de trancher après les excès des deux précédents quinquennats. Nicolas Sarkozy était l'hyper-président, il occupait le devant de la scène. Il a aussi exhibé ses relations avec les grands médias et les patrons de presse. Chez François Hollande, c'était une autre dérive : il ne s'est pas rendu compte qu'en gardant le même numéro de téléphone, qu'en conservant les mêmes amitiés, qu'en répondant n'importe quand aux questions des journalistes, il n'allait jamais habiter la fonction de président.

Emmanuel Macron veut retrouver l'esprit de la Ve République, comme l'ont fait François Mitterrand et Jacques Chirac : raréfier la parole présidentielle pour qu'elle marque davantage, pour la rendre plus forte. On peut critiquer cette monarchie présidentielle mais je pense que les Français y restent attachés. Mais si on commence à choisir ses journalistes, ses interlocuteurs, on tombe dans des pratiques vraiment monarchiques que je trouve dangereuses.

L'Elysée a expliqué défendre "une démarche d'ouverture" en ne sollicitant pas forcément des journalistes politiques. N'est-ce pas une bonne chose ?

Eviter un entre-soi avec les journalistes politiques et le pouvoir, d'accord. Mais choisir ses journalistes, c'est déplacer le problème. Nous allons nous retrouver avec des journalistes spécialisés qui seront, eux aussi, dans un journalisme de cour.

Ce "journalisme de cour" est-il une spécificité française ?

J'ai comparé les modèles anglo-saxons et français, de la fin du XVIIe siècle jusqu'à aujourd'hui. Dans une culture du journalisme politique née en Angleterre, qui s'est ensuite propagée aux Etats-Unis, il y a eu une séparation entre pouvoirs politique et médiatique. Nous, en France, nous avons perduré dans un entre-soi qui s'est prolongé bien après la Révolution, et qui s'est même accentué sous la Ve République.

Je me souviens de la polémique qu'il y avait eue entre Nicolas Domenach [journaliste à RTL] et "Quotidien" [l'émission de Yann Barthès sur TMC]. C'était survenu lors d'un voyage en Afrique [en Côte-d'Ivoire en novembre 2016]. On s'apercevait que Nicolas Domenach voyageait aux frais de Manuel Valls [alors Premier ministre], et donc aux frais de l'Etat. Les images étaient terribles pour lui, on le voyait en train de manger des petits fours. Cela donnait l'image d'un journalisme complaisant voire connivent.

Il y avait tout le menu fretin, la masse des journalistes qui voyageaient aux frais de leur rédaction, dans des conditions normales, et des journalistes triés sur le volet, privilégiés et qui, évidemment, volontairement ou non, faisaient un journalisme de cour. J'ai trouvé cela bien qu'on le voie car pendant longtemps cela a été la règle, les journalistes politiques choisis par le pouvoir. C'est l'école de Franz-Olivier Giesbert, des journalistes capables de passer des vacances avec des hommes politiques, qui étaient dans une connivence revendiquée.

"Moi, je baise avec le pouvoir", a déclaré Franz-Olivier Giesbert...

Etienne Gernelle, successeur de Franz-Olivier Giesbert à la tête du magazine Le Point, défend cette méthode. Il estime que c'est un moyen d'obtenir des informations, que cela ne nuit pas à la liberté du journaliste et même que cela créé les moyens de cette liberté car il n'y a pas de liberté sans informations.

Je respecte cette thèse. Je pense que la connivence avec le pouvoir peut être un moyen d'obtenir des informations, certes. Mais le risque c'est d'être manipulé par ce pouvoir. Donc, que l'on aille désormais en France vers un modèle à l'anglo-saxonne, où l'on met des limites entre le pouvoir politique et médiatique, où les journalistes voyagent à leurs frais sans être choisis par le pouvoir, cela me paraît très sain.

La bienveillance voire la connivence de la presse française avec le pouvoir a déjà été épinglée par la presse internationale. En 2014, la presse a peu interrogé François Hollande sur l'affaire Julie Gayet alors qu'il avait tenu une longue conférence de presse.

Nous ne sommes pas le seul pays où l'on trouve des journalistes connivents et tous les journalistes français ne sont pas connivents. Il ne faut pas céder à la tentation du "tous pourris". Nous avons peut-être une tolérance avec cette pratique car nous avons une culture monarchique qui est durablement ancrée mais il y a également une question de formation.

Les élites médiatiques et politiques sont formées ensemble. Des journalistes ont connu d'actuels dirigeants alors qu'ils étaient étudiants. Ces élites apprennent à se connaître, à se fréquenter, d'où le très grand nombre de couples qu'il y a entre journalistes et politiques.

Dans le précédent quinquennat, c'était très impressionnant. Quand François Hollande nomme son premier gouvernement, lui est en couple avec une journaliste [Valérie Trierweiler] et quatre de ses ministres sont avec des journalistes. Cela a sidéré la presse étrangère.

Est-ce que finalement tout cela ne pose pas un problème démocratique ?

Nous avons la presse que nous méritons. Si les Français souhaitent des journaux complètement différents, ils le demanderaient. Il y a une partie du public qui le plébiscite d'où la réussite de Mediapart ou encore d'Arrêt sur images où les gens sont prêts à payer pour une information plus indépendante.

Cela changera vraiment le jour où les citoyens voudront que cela change. Alexis de Tocqueville écrivait que nous avions fait la Révolution pour finalement revenir à un pouvoir personnalisé. Et il concluait que les Français préféraient être égaux sous un maître. Ils préfèrent l'égalité à la liberté.

N'est-ce pas cette proximité entre journalistes et politiques qui alimentent la défiance croissante à l'égard des médias ?

Le "mediabashing" existe depuis l'apparition de la presse, les journalistes sont attaqués, notamment par le pouvoir politique, mais pendant cette dernière campagne présidentielle, nous avons battu tous les records.

La critique des médias est légitime. C'est un ressort de la démocratie. Mais la critique devient tellement systématique que cela devient un ressort du populisme. Les populismes de gauche et de droite se caractérisent par le "tous pourris" et l'idée que les médias et le pouvoir sont ensemble. Il faut souligner la rigueur et l'impartialité de beaucoup de journalistes.

Le moyen de régler cet entre-soi, c'est en changeant les pratiques, la culture et la formation. Sciences Po a très bien fait en s'ouvrant aux zones d'éducation prioritaire et en ouvrant des campus en province. Il faut sortir de ce milieu parisien. Les autres grandes écoles doivent poursuivre dans cette voie et j'espère que nous n'aurons plus cette endogamie mais de l'ouverture vers une mixité sociale, ethnique.

Ecrit par : J. Bayard

 

Les compétences que doivent rechercher les journalistes en 2024

 

 

Beaucoup de gens veulent devenir journalistes sans vraiment connaître le métier, ni quels sont les vrais besoins et charges de la profession et encore moins, les nouveautés qu’il a pu intégrer. Pourtant, dans le journalisme, tout a changé ces dernières années. Les normes ont évolué. La confiance du public envers les médias s’est étiolée.

On fait de moins en moins confiance à la parole des journalistes. On s’informe de moins en moins avec eux. On note une baisse tendancielle du lectorat. Les médias travaillent dans un contexte de surinformation et d’infobésité, ce qui fait que le journaliste devient une voix parmi tant d’autres. Les faits deviennent des opinions, ou sont confondus avec elles.

Ainsi, à quoi faut-il s’attendre pour la profession en cette année ? De quels types de journalistes aura-t-on besoin ? A quels changements, transformations ou mutations doit-on s’attendre ? Quelles seront les tendances à suivre ? Quelles sont les compétences que devront rechercher les journalistes en 2024 ?

Réunis au cours du 129e webinaire du Forum Pamela Howard de Reportage sur les Crises Mondiales du Centre international pour les journalistes (ICFJ), Eric Nahon, ex-directeur adjoint de l'Institut Pratique du Journalisme (IPJ) de l'université Dauphine et Xavier Eutrope, journaliste à La Revue des médias, ont livré leurs réflexions sur ces interrogations.

Se mettre constamment à jour

Eric Nahon a codirigé l’Institut pratique du journalisme de Dauphine pendant 15 ans et a été président de l'Association européenne de formation au journalisme (EJTA - European Journalism Training Association). Il estime que les journalistes ont besoin de :

  • Une technicité dans l'éthique,
  • Beaucoup de travail et de connaissances philosophiques,
  • Beaucoup d’interrogations, de penser contre soi-même, ce qui va pas mal à l'encontre de ces journalistes dits militants ou engagés,
  • Beaucoup plus de compétences scientifiques,
  • Des compétences scientifiques informatiques, à commencer par la compréhension de l’intelligence artificielle,
  • Être capable d’expliquer comment ils travaillent, d’expliquer leurs boîtes noires,
  • Protéger leurs sources mais d’expliquer comment il les trouve,
  • Expliquer d'où viennent les affirmations péremptoires qu’ils peuvent écrire, parce qu’on a besoin de faits contre les opinions, ou en tout cas pour éclairer les opinions ou les faire basculer, 
  • Être au service des gens, des lecteurs, des auditeurs, des internautes, de l’audience
  • Ne pas seulement écrire et filmer ce qu’ils aiment
  • Une résistance aux pressions que ce soit dans la culture ou dans la politique
  • Une spécialisation.

En plus de la spécialisation, les journalistes doivent être adaptables. Il va falloir changer de spécialisation très régulièrement, explique l’expert formateur qui encourage les journalistes à faire un effort pour se mettre à jour constamment.

Avoir des connaissances en humanités

Xavier Eutrope dit partager la même réflexion que celle de M. Nahon sur la formation tout au long de la vie. Toutefois, il souhaite nuancer la question des types de journalistes dont on a besoin. “Parce que tout dépend de quelle manière on se place, si on parle du type de journaliste qu’on attend pour avoir des médias qui optimisent leurs revenus, c'est-à-dire s’il faudrait avoir des journalistes qui soient de véritables couteaux suisses, capables de s’adapter à toutes les situations ?”

Il est important, selon lui, en 2024, que les journalistes puissent être capables de comprendre les enjeux qui leur sont posés, de comprendre et de s'informer sur les sujets qu’ils abordent notamment par exemple l’intelligence artificielle. “Aujourd’hui c’est une thématique qui est très complexe, et qui a, à mon sens, beaucoup d'atermoiements”.

Xavier Eutrope pense qu’on a aujourd’hui plus que besoin de journalistes qui soient capables de :

  • Bien contextualiser et bien vulgariser,
  • Mettre de côté leurs croyances et leurs opinions pour donner le maximum de point de vue, 
  • Ne pas oublier le contradictoire 
  • Bien faire son travail,
  • Prendre du recul sur soi-même, par rapport à la situation et aussi par rapport à tout ce qui concerne la désinformation et la communication,
  • Avoir de vraies connaissances en humanités, c'est-à-dire qu'il faut lire de la philosophie pour être capable de réfléchir contre soi-même.

Être transparent et ouvert

Xavier Eutrope se dit assez étonné et scandalisé par le manque de transparence de certains confrères et consoeurs qui refusent de parler de leur travail, qui refusent d’expliquer leur méthode, comment ils en sont arrivés à produire leurs travaux, avec quels outils, par quelle logique. “C’est une attitude qui me semble extrêmement catastrophique.” Il exhorte à être plus transparents et plus ouverts sur leurs méthodes et leur raisonnement.

L’avenir du journalisme avec l’IA

Sur le sort de l’intelligence artificielle, Eric Nahon estime que l’IA et notamment les IA génératives de type ChatGPT ou de génération d’images, peuvent être un atout pour le journalisme. Ils peuvent nous dispenser en tant que journaliste d’un travail un peu fastidieux, à condition, déclare-t-il, de bien comprendre l’outil. “Un outil qui peut être propice à l’arrivée d’un journalisme augmenté”.

Ecrit par : J. Bayard

 

 

 

 

 

 

Les outils et technologies qui facilitent le travail des journalistes en 2024

 

Les avancées technologiques ont considérablement transformé l'univers du journalisme. Les professionnels de l’information peuvent désormais compter sur des outils innovants et performants pour gagner considérablement en efficacité et s’adapter aux mutations de leur profession. Zoom sur l’arsenal du journaliste moderne.

Près de la moitié des rédactions à travers le monde utilisent déjà des outils d’intelligence artificielle. C’est ce que révèle une étude de l’Organisation mondiale de la presse, la World association of news publishers (WAN-IFRA) publiée en mai 2023 en collaboration avec Schickler Consulting.

S’il y a quelques décennies seulement, les journalistes se contentaient de travailler avec un carnet, un stylo et un téléphone, ils s’appuient donc désormais sur des technologies de pointe. Mais quels sont leurs outils fétiches, dans cette nouvelle ère de l’information ? Et quelle est la « stack technique » idéale pour un journaliste en 2024 ? Voici notre sélection.

Des outils de veille et de recherche d’informations de plus en plus puissants

 D’après le rapport sur l’état des médias 2023 de Cision, 96 % des journalistes utilisent les réseaux sociaux dans le cadre de leur travail, que ce soit pour faire de la veille, pour se connecter avec des experts ou encore pour repérer des « trending topics ». Mais pour tirer efficacement parti de X, Instagram ou encore Facebook, les journalistes sont nombreux à utiliser des outils tiers, qui leur permettent de suivre des mots clés spécifiques ou d’analyser des tendances.

On peut par exemple citer l’extension CrowdTangle, dédiée au « social listening », ou bien l’outil Tweetdeck, récemment rebaptisé XPro, qui propose un tableau de bord pour suivre des comptes, des hashtags ou encore des mots clés spécifiques sur X. Longtemps gratuit, il est récemment devenu payant suite aux dernières évolutions de la plateforme X.

Au-delà des réseaux sociaux, les professionnels de l’information sont également nombreux à utiliser les outils de veille Google (Google Alerts, Google Trends), et à avoir recours à des salles de presse digitales. Avec MediaConnect, par exemple, ils peuvent accéder à tous les communiqués de presse partagés sur la plateforme, en les filtrant selon les thématiques qui les intéressent et en paramétrant des alertes personnalisées. De quoi faire une veille efficace, tout en luttant contre l’infobésité. 

Des outils de production de contenu multimédia toujours plus accessibles

Selon Cision, 45 % des journalistes affirment cette année avoir intégré à leurs articles des infographies, 43 % des vidéos, 28 % des posts médias sociaux et 13 % de l'audio. Et pour cause, il existe aujourd’hui une multitude d’outils permettant de les créer, sans avoir besoin de compétences graphiques très poussées.

Canva permet par exemple de créer des visuels en quelques clics, tandis que Dalet Flex offre des fonctionnalités simplifiées de montage et d’édition de vidéos, et Datawrapper démocratise la visualisation de données. Les outils pour enregistrer, monter, éditer et diffuser des podcasts se sont également multipliés : Zencastr, Audacity ou Ausha en font notamment partie.

Des plateformes de publication et de diffusion adaptées aux besoins des journalistes

Le CMS (Content management system) est bien souvent l’outil central de tout média d’information en ligne. Il s’agit en effet de la plateforme qui permet d'organiser, de publier et de diffuser le contenu de manière structurée, et, dans certains cas, de le monétiser.

Le magazine britannique Press Gazette, s'est récemment associé à l'outil d'analyse de sites web BuiltWith, pour analyser plus de 2 000 des principaux sites d'actualités du monde et répertorier les CMS les plus utilisés. Selon cette étude, 44 % des médias en ligne utilisent la solution open source Wordpress, parmi lesquels The Economist, Al Jazeera, ou The New York Times. En deuxième et troisième position, on retrouve Drupal et Hubspot CMS Hub.

Les journalistes sont également de plus en plus nombreux à se tourner vers des outils de diffusion dédiés aux réseaux sociaux comme Hootsuite ou Buffer, qui leur permettent de planifier leurs posts et d’automatiser certains aspects de la diffusion de leur contenu.
 
Dans ce contexte, les professionnels de l’information consacrent de plus en plus de temps et d’énergie à vérifier leurs sources. Heureusement, des outils émergent peu à peu pour les assister dans cette tâche :

  • Botometer permet par exemple de vérifier l’authenticité d’un compte X.
  • L’outil YouTube Dataviewer d’Amnesty International aide à extraire les métadonnées de contenus diffusés sur la plateforme YouTube.
  • InVID aide à évaluer la véracité de vidéos.
  • TinEye est un moteur de recherche d’images inversé.
     

Le géant Google propose par ailleurs lui-même un outil dédié à la vérification des informations : Fact Check Explorer. Les ressources à disposition des journalistes se multiplient donc, même s’il faut souligner qu’elles sont rarement fiables à 100 %.

Une nouvelle génération d’outils de rédaction et d’édition, basés sur l’IA

Comme nous l’évoquions en introduction de cet article : l’intelligence artificielle fait actuellement une entrée fracassante dans le monde de l’information, et en particulier le robot conversationnel ChatGPT. Les journalistes sont déjà nombreux à l’utiliser pour condenser des informations, corriger des textes ou encore trouver des idées de sujets.

En juillet dernier, Google a par ailleurs annoncé le lancement prochain de « Genesis », un outil d’intelligence artificielle visant à aider les journalistes à écrire des articles de presse. Il vise à proposer tout un ensemble de fonctionnalités dédiées aux journalistes en matière d'agrégation de l’information, de synthèse et d’aide à l’écriture.

Cette annonce a évidemment suscité de vives réactions et inquiétudes de la part de la profession, mais le New York Times, le Washington Post ou encore le Wall Street Journal font partie des grands médias qui souhaitent explorer les possibilités qu'offre le futur outil. Les technologies qui facilitent et transforment le travail des journalistes n’ont donc pas fini d’évoluer !

 Ecrit par : J. Bayard 

 

 

 

Les journalistes de demain devront repenser le métier sous un angle déontologique pour produire un travail d’utilité publique voire sociale” - Interview

Souvent décrié, parfois encensé, le métier de journaliste attire pourtant toujours autant. Alors pour tous ceux qui se destinent à cette carrière et qui vont devoir choisir leur filière de formation, cette interview est pour vous ! Découvrez la vision du métier de journaliste, aujourd’hui et demain, de Yannick Pech, co-auteur d’un ouvrage sur les concours des écoles de journalisme.

Co-auteur de l’ouvrage “Concours d’entrée en école de journalisme” réalisé avec Cécile Varin, Yannick Pech est enseignant et consultant en géopolitique et intelligence stratégique. Il est aussi chargé de cours dans une huitaine d’écoles de commerce et de journalisme, doctorant en sciences de l’information et de la communication, et par ailleurs analyste-consultant auprès du ministère de la Défense.

Dans votre ouvrage, vous évoquez les écoles reconnues. Restent-elles le tapis rouge pour accéder à l’emploi selon vous ? Quels sont leurs atouts et leurs inconvénients ?

Les écoles de journalisme reconnues restent la voie royale car elles font l’objet d’une reconnaissance officielle par la profession, et secondairement, pour la plupart elles sont aussi reconnues par l’État. Cela constitue leur premier atout, celui-ci conditionnant en grande partie les autres : rapidité d’obtention de la carte de presse ; « entrées » facilitées pour intégrer les réseaux corporatifs les plus influents/« prestigieux » (presse nationale, médias de référence…) ; meilleure accessibilité aux stages offerts par les grands groupes de presse ; réputation ; moyens mais surtout qualité de la pédagogie. Elles raflent aussi le plus clair des prix décernés par la profession. Dans le même temps, ces mêmes avantages induisent souvent des inconvénients : auto-reproduction d’une élite, vision conformiste du métier, uniformité (voire formatage) des apprenants, possible conservatisme de l’enseignement, aspects commerciaux survalorisés et tropisme marketing… Les concours d’entrée y sont par ailleurs très sélectifs, ce qui est certes signe d’exigence et de qualité, mais aussi d’un certain élitisme, aujourd’hui plus contesté. Au-delà de la question du niveau scolaire exigé des candidats, ces écoles peuvent ne pas correspondre à leurs attentes, voire engendrer de la désillusion.

Vous parlez aussi des écoles de journalisme non reconnues. Pourquoi ne doivent-elles pas être écartées selon vous ? Quels sont leurs atouts et leurs faiblesses d’après vous ?

Ainsi, les écoles non reconnues par la profession, mais pour certaines visées tout de même par l’Etat, forment une alternative intéressante. D’une part, parce qu’elles peuvent davantage correspondre à des étudiants plus indépendants d’esprit, originaux voire marginaux. Ceux-ci seront justement plus susceptibles de s’épanouir dans ces structures moins orthodoxes, et parfois également moins exigeantes. En effet, elles proposent souvent une approche moins conformiste et peuvent ainsi susciter l’envie d’innover et d’entreprendre. D’autre part, les concours exigeants des écoles reconnues peuvent écarter des candidats certes moins « performants », mais dans le même temps moins « scolaires » ; de plus, un étudiant « moyen » peut très bien atteindre au cours ou au terme de sa formation un excellent niveau académique. Le caractère arbitraire d’un concours peut tout à fait entraver voire torpiller une – très forte – vocation. Les écoles non reconnues sont donc plus flexibles quant à leur sélectivité, favorisant une certaine mixité sociale et donnant leur chance à des profils moins standardisés.
Les inconvénients qu’on prête généralement à ces écoles sont connus : réseaux professionnels moins denses et/ou plus locaux ; réputation moindre ou manque de visibilité, voire quasi confidentialité dans le paysage éducatif ; manque de moyens et/ou qualité inférieure de l’enseignement. Ce dernier point est toutefois assez peu fondé : en effet, les équipes pédagogiques peuvent présenter des qualités académiques et professionnelles analogues et il n’est, d’ailleurs, pas rare de retrouver les mêmes intervenants dans les écoles reconnues et celles qui ne le sont pas. En outre, leurs tarifs parfois supérieurs à ceux des écoles reconnues sont souvent gages d’un effort porté sur les équipements matériels (studios, parc informatique, appareils vidéo/photo…). En tout état de cause, qu’il s’agisse de la qualité des enseignements ou du prix des formations, c’est très disparate. Certains étudiants – dont c’était initialement l’objectif ou du fait de circonstances particulières dans le parcours – ont pu d’ailleurs atteindre des postes – dits – prestigieux en sortant d’une école spécialisée mais non reconnue. Il revient donc aux candidats de choisir leur école en connaissance de cause. Ce livre-manuel est à cet égard des plus utile, et par ailleurs le seul à ce jour à évoquer le cas de ces écoles moins reconnues.

Si vous ne deviez donner qu’un seul conseil pour réussir les différents concours, quel serait-il ?

Un concours, quel qu’il soit, repose sur plusieurs facteurs difficiles à maîtriser. Il y a un facteur chance, et évidemment un facteur travail et un autre reposant sur les qualités individuelles. Le conseil le plus important que je pourrais donner serait, d’une part, de bien choisir son école en fonction avant tout de ses attentes et de sa personnalité ; d’autre part, d’être curieux, rigoureux et méthodique dans sa préparation.

Le métier est en profonde mutation : quelles sont ces mutations actuelles et futures selon vous ? Quelles compétences ou savoir-faire les futurs diplômés devront posséder pour espérer faire carrière dans le journalisme ?

La mutation la plus évidente est le tournant numérique qu’opère la profession et qui nécessite une adaptation et de nouvelles compétences. Le métier connaît une certaine hybridation avec des métiers connexes, tels que ceux de la communication.
Les compétences métier deviennent de plus en plus transversales car elles sont unifiées et uniformisées par les technologies de l’information et de la communication. Le web journalisme, la data visualisation, les techniques d’investigation numérique, etc. deviennent incontournables, et les journalistes doivent donc maîtriser ces nouveaux outils et être dans le même temps polyvalents et spécialistes. Par ailleurs, comme pour bien d’autres métiers, « l’ubérisation » pose un sérieux défi : décentralisation de l’information ; rapport au « journalisme-citoyen » et concurrence informationnelle plus générale, dont la « réinformation » ; robotisation symbolique ou bien concrète du métier et des personnels de la presse.
Face à ces enjeux liés aux compétences professionnelles et à l’adaptabilité, les journalistes de demain – et avec eux les écoles qui les forment – devront sans doute repenser le métier notamment sous un angle déontologique. Ceci afin de redorer le blason de la profession auprès d’une société qui lui accorde moins de crédit et de confiance qu’auparavant. Et d’innover dans la manière d’informer et produire un travail indépendant, rigoureux et d’utilité publique voire sociale. Pour conclure, les aptitudes relationnelles, un bon bagage culturel, un esprit curieux et ouvert constituent et constitueront encore à l’avenir le socle des compétences requises. C’est ainsi que les journalistes de demain devront comprendre leur environnement, inventer, entreprendre, maîtriser les outils numériques en perpétuelle évolution, et même s’initier au code informatique.

 Ecrit par : J. Bayard 

 

«IL FAUT OSER CASSER LES BARRIÈRES ET POUSSER LES PORTES» : LES AGRICULTRICES LUTTENT POUR L'ÉGALITÉ DES GENRES DANS LE MONDE AGRICOLE

Longtemps mises à l'écart, et pourtant indispensables au renouvellement d’une profession en proie à une crise démographique inédite, les agricultrices demeurent confrontées aux inégalités de genre, malgré des avancées statutaires qu’elles ont su arracher au fil des années. À l’occasion du 60e Salon de l’Agriculture, CNEWS est allé à la rencontre de trois d’entre elles, aux parcours différents mais aux problématiques similaires.

 Elles s’appellent Valène Écorce, Delphine Chamard et Lise Trigosse. Les deux premières sont éleveuses, et représentantes du collectif «Les Bottées», une coopérative composée d’une vingtaine d’agricultrices, issues de Vendée et de Charente-Maritime, tandis que la troisième est étudiante, en lycée agricole, et en passe de reprendre l’exploitation familiale, une ferme de 80 bêtes sur le plateau de l’Aubrac, en Lozère. Toutes les trois ont un objectif commun : rendre visibles les femmes dans ce milieu majoritairement masculin et prouver qu'une femme a autant sa place qu'un homme sur une exploitation. 

«L’idée c’est de montrer que les femmes peuvent être agricultrices, et diriger une exploitation. Aujourd’hui elles sont formées, comme les hommes, et elles doivent prendre confiance en elles pour ne plus hésiter à s’installer, à se former si ce n’est pas le cas, et à communiquer, où à s’engager dans des coopératives», avance Delphine Chamard, 34 ans, installée depuis 2019 et responsable d’une exploitation de 35 vaches de race Limousine, ainsi que d’un élevage de poules pondeuses reproductrices, le seul de sa région (Charente Maritime).

«C'est aussi ça le but du collectif "Les Bottées", on aime rappeler que nous sommes un groupe de "Positives Agricultrices" de la coopérative agricole Cavac, animées par la volonté de promouvoir la féminisation en agriculture. Nous sommes des femmes avec des parcours très variés, mais ce que nous voulons c'est sensibiliser notre écosystème à l’enjeu de la féminisation. Nous sommes convaincues que la féminisation profite tant aux hommes qu’aux femmes», ajoute Delphine Chamard.

«Il faut oser. Il ne faut plus se poser de questions. C’est vrai que parfois, dans nos exploitations, on entend encore des commerciaux nous demander "Il est où le patron ?" car certains ont du mal à imaginer qu’une femme puisse être cheffe d’une exploitation. Mais on voit quand même que ça s’améliore d’année en année, ça progresse, y compris dans les lieux de formation, où l’on voit de plus en plus de jeunes filles», abonde Valène Écorce, cunicultrice en Vendée. 

45% DE FILLES DANS L'ENSEIGNEMENT AGRICOLE 

En effet, il existe une véritable évolution positive de la place des filles dans l’enseignement agricole. Ce dernier, qui regroupe l’enseignement technique agricole (jusqu’au bac ou BTSA) et l’enseignement supérieur agronomique, vétérinaire et de paysage, compte 154.000 élèves et 43.000 apprentis. Parmi eux, selon les chiffres du ministère de l’Agriculture, 55% sont des garçons et 45% sont des filles. 

Par ailleurs, en 1975, 20% des étudiants de l’enseignement supérieur agricole long (études agronomiques, vétérinaires et de paysage) étaient des femmes. En 2020, elles représentaient 62% des effectifs. Concernant l’enseignement technique : à la rentrée 2020, les filles représentaient 48,6% des effectifs des élèves, des apprentis et des étudiants de l’enseignement supérieur agricole court (BTSA).

Un véritable développement de l’intérêt des jeunes filles pour le monde agricole confirmé par Lise Trigosse, bientôt 18 ans et étudiante en classe de première en Bac Pro CGEA (Conduite et gestion d’une entreprise agricole). «Nous sommes huit filles sur treize dans ma classe, et de mon côté, même si j’avais d’abord envisagé une autre formation, je me suis rapidement tourné vers le monde agricole, notamment pour avoir la possibilité de travailler en famille et de reprendre l’exploitation familiale», a-t-elle affirmé. 

Pour la jeune femme, comme pour beaucoup d'étudiants, c’est pendant la période du Covid-19 que sa réflexion a évolué. «Pendant cette longue pause, j’ai eu le temps de bien réfléchir et j’ai choisi de reprendre l’exploitation. Je passais beaucoup de temps à aider mes parents, cela m’a plu et j’ai décidé de continuer sur cette voie», détaille l’étudiante. Mais si Lise Trigosse peut aisément faire le choix de se tourner vers le monde agricole, c’est aussi parce que le statut des femmes dans le milieu a beaucoup évolué. 

UN CHEF D'EXPLOITATION SUR QUATRE EST UNE FEMME

Si les femmes ont depuis toujours joué un rôle crucial dans la vie des exploitations, celui-ci n’a pas toujours été reconnu comme tel. Jusqu'au début des années 1960, le rôle de la femme dans l'agriculture n'était pas considéré. Le terme d'agricultrice n'existait pas. Il n'est rentré dans le dictionnaire français qu'en 1961. Aujourd’hui, elles restent minoritaires en tant qu’agricultrices à part entière et leur proportion stagne depuis quelques années même si leur place dans le monde agricole a nettement évolué. Désormais, elles sont devenues des «actrices» incontournables du paysage agricole, tant parmi les chefs d’exploitations, que parmi les salariés.

Et les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon le ministère de l'Agriculture, en 2023, près d'un chef d’exploitation sur quatre est une femme. Un chiffre qui reste stable ces dernières années (27% en 2016, 25% en 2012) mais qui a considérablement progressé en 50 ans (8% en 1970). Par ailleurs, en 2019, 12,9% de l’ensemble des conjointes (mariées, pacsées ou en concubinage) d’exploitants ou d’entrepreneurs agricoles étaient affiliées en qualité de «conjointes actives» sur l’exploitation ou dans l’entreprise. Un chiffre divisé par deux en dix ans. Les femmes privilégient aujourd'hui le statut de co-exploitant pour travailler sur l'exploitation.

DES INÉGALITÉS DE GENRE

Malgré ces évolutions, les agricultrices sont toujours confrontées aux inégalités de genre, et de nombreux progrès restent à faire dans le domaine. Comme dans beaucoup d’autres secteurs, les femmes salariées ont des conditions d’emploi plus précaires, avec notamment un important recours au contrat à durée déterminée (CDD). Ainsi, 81,9% des salariées du secteur détenaient un CDD en 2019. Par ailleurs, toujours en 2019, 132.200 femmes d’exploitants étaient considérées «sans statut», c’est-à-dire qu’elles n'étaient ni cheffes, ni collaboratrices d’exploitation. Leur participation à la gestion des exploitations n’était donc pas directement mesurable, mais bien réelle.

Parmi les autres difficultés rencontrées, celle de l’héritage demeure encore en tête de liste. En effet, traditionnellement, lorsqu’il y a un frère dans la fratrie d'une famille de paysans, il apparaît encore comme naturel qu’il soit l’attributaire de l’exploitation. De fait, les femmes issues du monde agricole se retrouvent donc souvent lésées, avec moins de biens fonciers, et avec comme corollaire fréquent le fait que beaucoup d’entre elles épousent un agriculteur.

 Ecrit par : J. Bayard