Les journalistes ne sont pas chargés de réhabiliter la parole politique !

La politique passionne-t-elle encore les Français ?

Christi Couderc : Je suis absolument persuadée qu'elle intéresse les Français. Ce sont les politiques qui n'intéressent plus les Français. Les Français sont un peuple politique. On partage cela avec les Italiens. Ils sont exigeants quant à la qualité des débats et la déception est à la hauteur des attentes. Même si les sujets sont difficiles – comme la Constitution européenne en 2005 –, les gens suivent.

Gabriel Vialy : La présidentielle reste l'acmé de la politique, et c'est évidemment cet événement qui passionne les Français, on le voit sur la participation. C'est difficile de s'intéresser aux régionales et de comprendre les prérogatives et les enjeux, même si cette campagne n'est pas si inintéressante que cela. La crise sanitaire n'aide pas.

Mais, à la différence des autres quinquennats, tous les sondeurs alertent sur le décrochage d'une grande partie des Français et de leurs représentants…

C. C. : Cela avait été l'un des thèmes de la campagne d'Emmanuel Macron en 2017. C'est son plus grand échec. Je suis très frappée par le rapport qu'ont les Français avec leurs politiques : ils portent aujourd'hui un regard sur eux avec une présomption de culpabilité et on impose aujourd'hui des contraintes aux politiques qui vont faire que les vocations vont se raréfier. Aujourd'hui, s'engager en politique, c'est faire preuve d'une abnégation exceptionnelle. Il y a une demande de représentativité, de référendums…, mais nous avons le système démocratique le moins mauvais.

G. V. : La défiance, elle existe. Rappelez-vous, Emmanuel Macron sur le porte-avions Charles-de-Gaulle avoue « avoir échoué à réconcilier les Français avec leurs dirigeants ». C'était quoi sa volonté ? Réunir les meilleurs de droite et de gauche et les faire travailler ensemble pour « réparer la France », comme disait Édouard Philippe. Cela n'a pas marché. La défiance est d'autant plus grande qu'il n'y a pas d'idées, on ne répond pas à leurs problèmes et le système ne fonctionne pas bien. Souvenez-vous des débats pendant la crise sanitaire : à part râler, qu'ont proposé les oppositions ? On avait l'impression qu'elles étaient contentes de ne pas être aux affaires. C'est un comble ! Les débats au Parlement n'ont pas fonctionné : tout a été décidé par cinq personnes dans des conseils de défense d'où rien ne sortait. Le système étouffe et le grand échec de Macron est la question institutionnelle.

Les ficelles ont toujours été grosses, mais la loupe est de plus en plus puissante.

En tant que journalistes, vous côtoyez le personnel politique tous les jours. La communication (avec les éléments de langage) n'a-t-elle pas tué la politique ?

C. C. : Je ne comprends pas ce procès qui est fait à la communication. C'est naturel que l'on veuille expliquer son action ou un projet – à condition que cela ne se substitue pas aux idées, évidemment. C'est de la paresse intellectuelle de dire que ce n'est plus que de la communication. Par contre, les débats ne revitalisent pas. Nous l'avons constaté depuis des mois. Le débat est pauvre et on le subit. Les politiques font souvent du commentaire d'actualité.

G. V. : Les politiques parlent trop. Communiquer, c'est expliquer. Sauf que, depuis quelque temps, ils parlent tout le temps, mais ils n'ont rien à dire. C'est cela le problème. Tous les jours, ils commencent leur journée par une matinale, mais ils n'ont pas tous les jours quelque chose à dire d'intéressant ! Parfois, ils terminent leur journée par une émission de télévision. Mais qu'ont-ils fait dans la journée ? Les créneaux d'intervention se sont multipliés. Emmanuel Macron a théorisé la « parole rare », mais on a un flot ! Avant, les éléments de langage étaient fournis pour les ministres, mais désormais le moindre député a les mêmes. Mais ça ne trompe personne, car les gens sont malins et comprennent.

C. C. : Ils comprennent aussi vite que nous. Ils ne sont pas dupes. Sur les régionales en Paca, ils ont tout de suite vu ce qu'il se passe. C'est assez rassurant. Les ficelles ont toujours été grosses, mais la loupe est de plus en plus puissante.

G. V. : Les ficelles sont aussi grosses, mais maintenant elles se voient !

Les petites polémiques, comme les petites phrases, ça tue. Il ne faut pas se laisser emporter par la facilité.

Les journalistes politiques ont-ils un rôle pour élever le débat en sélectionnant les invités et les polémiques à traiter ?

G. V. : Je ne suis pas chargée de réhabiliter la parole politique ! On est là pour les écouter et réagir comme un Français qui écoute. Beaucoup de polémiques commencent sur les réseaux sociaux. Notre responsabilité est de faire le tri entre les fausses polémiques et les vrais sujets qui méritent débat. Les petites polémiques, comme les petites phrases, ça tue. Il ne faut pas se laisser emporter par la facilité : « Puisque tout le monde en parle, c'est que ça doit être un sujet. » Pas forcément. Il ne faut pas se laisser emporter par le torrent.

C. C. : Il y a donc une petite responsabilité (sourires). Nous devons faire des arbitrages et je peux avoir tort : par exemple, je n'ai pas posé de questions au politique que j'avais en face de moi sur la polémique des joueurs de l'équipe de France et le genou à terre. Le courant est fort, mais on ne peut se réduire à ce qui fait le buzz sur les réseaux sociaux. Mais les politiques, eux, rebondissent sur les polémiques qui viennent de ces réseaux sociaux, et malheureusement, cela devient une actu…

C. C. : Vous voyez bien les intentions de vote pour Marine Le Pen ! C'est normal qu'il y ait un réceptacle qui attire cet électorat. On est dans la normalité. On peut être choqué par la teneur de certains propos, mais que CNews ait du succès auprès d'une partie de l'opinion française, ce n'est pas surprenant. Je suis presque étonnée qu'on soit étonné. Ce qui aurait été une incongruité, c'est que CNews ne fonctionne pas.

G. V. : Avant CNews, une partie des gens ne se sentaient pas représentés par les chaînes de télévision. Là, il y a une chaîne qui dit ce qu'ils veulent entendre avec les outrances et les dérapages. On s'adresse à un public. C'est un choix. Si la gauche avait fonctionné un jour, elle aurait pu avoir sa chaîne – cela aurait pu être le Média, mais ce sont des amateurs.

C. C. : Le succès de CNews est fascinant, car tout a été bien pensé.

Avec en symbole Éric Zemmour que l'on annonce comme potentiel candidat à l'élection présidentielle et dont Le Point a testé l'hypothèse – 5,5 % des intentions de vote…

C. C. : Vous savez ce n'est pas nouveau. Des journalistes ont franchi le Rubicon comme Noël Mamère. Éric Zemmour incarne ce courant d'opinion qui se radicalise, à droite. Il va très loin avec des condamnations. C'est plus une histoire personnelle qu'un symbole. Qu'il soit tenté par la politique, c'est assez banal.

G. V. : Il a du succès. C'est un polémiste qui vend des livres, beaucoup de livres. Il vient sur une chaîne, on lui donne une émission, elle marche très fort et certains se disent autour de lui : « La candidate du Rassemblement national n'est pas à la hauteur, essayons de trouver quelqu'un qui porte des idées qui vont plus loin, poussons Éric Zemmour. » Ce n'est pas quelqu'un qui, depuis dix ans, s'est levé le matin en se disant : « Je vais être candidat à la présidentielle. » C'est un enchaînement.

Comment voyez-vous les régionales ?

C. C. : Moi, je suis très curieuse de savoir si nous avons bien perçu l'opinion, si nous avons surestimé ou sous-estimé Marine Le Pen. Est-ce que cela va être un raz-de-marée dans certaines régions, ou finalement l'équilibre va rester celui de 2015. Avec en toile de fond la présidentielle, puisque ces élections vont donner le tempo à droite et à gauche.

G. V. : Je partage ce sentiment : on ne sait rien. Tout est imprévisible. Les gens ne vont pas se précipiter dans les bureaux de vote au premier tour, mais se mobiliseront-ils pour le second ? Ils ont envie d'être dehors, de vivre le déconfinement.

C. C. : On ne sent pas bien les choses. Comme en 2002.

G. V. : On est dans le flou ! Il n'y a rien de prévisible, et ce n'est pas bon signe. C'est ce qu'on a en commun avec les hommes politiques : quand ils ne sentent pas les choses, ils sont inquiets. Il faut dire que cette crise sanitaire a étouffé la politique. La politique déconfinée, ce n'est pas extraordinaire. Je me disais : « Ils ont réfléchi, ont des nouvelles idées. » Pas vraiment...

C. C. : Peut-être que nous allons avoir des débats passionnants sur la dette, sur l'Europe… Je suis une éternelle optimiste.

Est-ce que la matière politique vous intéresse encore ?

G. V. : Si moi je ne croyais pas au débat d'idées avec des gens qui discutent calmement et qui donnent des solutions, j'aurais raté ma vie. J'ai espoir qu'il y ait moins de tweets qui débouchent sur des débats stériles et inintéressants et plus d'échanges sur les vrais sujets. Il y a un Poutine/Biden, tout le monde s'en fout ! Personne ne devrait s'en foutre.

C. C. : La politique, c'est de l'humain. C'est cela qui est passionnant. Il y a une incertitude folle et je ne participerai jamais au discrédit général que subissent les politiques et les journalistes dans un même mouvement. J'ai déjà entendu vingt fois « cette campagne est nulle » et « c'était mieux avant ».

G. V. : La seule crainte que l'on peut avoir, ce sont les dérives des réseaux sociaux et que la campagne devienne violente et sale. Cela nous guette.

Ecrit par : G. Vialy et J. Bayard 

 

À 140 ans, la loi sur la liberté de la presse « résiste tant bien que mal »

Liberté de la presse : la loi du 29 juillet 1881 a 140 ans

La grande loi encadrant la liberté de la presse a presque un siècle et demi ! C’est une bonne occasion pour se souvenir de sa naissance et de ses principales avancées. Car cette loi, modifiée à plusieurs reprises, constitue encore aujourd’hui le fondement même de notre droit de la presse.

Après la période révolutionnaire marquée par la naissance de très nombreux titres de presse, suivent quelques décennies très peu favorables à la liberté de la presse. Il faudra attendre la IIIe République et 1881 pour que la France se dote enfin de cette loi du 29 juillet qui va définir les libertés et responsabilités de la presse française.

L’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789 avait ouvert la voie en reconnaissant la liberté d’expression. Ce dernier disposait que "la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi".

La loi du 29 juillet 1881 va plus loin en imposant un cadre légal à toute publication, ainsi qu’à l’affichage public, au colportage et à la vente sur la voie publique. Son article 1 dispose que "l’imprimerie et la librairie sont libres".

Le régime de l'autorisation préalable et du cautionnement sont abolis, ce qui supprime la censure préalable et réduit les charges qui pèsent sur les éditeurs de presse.

La loi sera modifiée à plusieurs reprises. Elle n’en reste pas moins considérée comme le texte juridique fondateur de la liberté de la presse en France, celle qui favorisera l’essor de la presse grâce à un régime plus libéral.

Votée sous la IIIe République, la loi qui encadre la liberté de la presse mais aussi la liberté d’expression, fête ses 140 ans. Qu’est ce qui fait sa spécificité ?

La loi sur la presse érige le grand principe que l’expression publique doit relever de règles spéciales, et non générales. Cette philosophie a été instaurée en 1881 pour éviter qu’une réglementation trop sévère puisse sanctionner l’expression publique.

Il ne suffit pas d’avoir causé un préjudice pour être sanctionné. À travers sa jurisprudence, la loi de 1881 a précisé de façon stricte les cas constitutifs d’un abus de liberté de la presse, comme l’injure ou la diffamation. En dehors de ces abus, c’est la liberté de la presse qui s’applique. Et le requérant ne dispose que de trois mois pour agir, contre six ans en droit commun.

Qu’en est-il de la loi de 2018 pour lutter contre les fake news ?

Il n’y a eu qu’une seule procédure. C’est une loi dont l’objet est très restreint, qui vise à limiter des tentatives de manipulation du scrutin venant de l’extérieur en période électorale.

→ RELIRE. La loi anti- « fake news » : « son principal défaut, l’inefficacité »

En réalité, je pense que le principal risque pour la loi de 1881 ne réside pas dans ces lois ponctuelles, qui sont des effets d’annonces médiatiques à la portée très limitée en pratique, mais dans la concurrence de tout un corpus de droit découlant de la protection des données personnelles.

Certains estiment que la loi de 1881 ne serait plus adaptée, en raison des réseaux sociaux…

C’est une argumentation fallacieuse, car la difficulté à réguler les réseaux sociaux ne tient pas à la loi liberté de 1881, mais au fait qu’il y a une grande masse de contenus à gérer, et que l’on se heurte la plupart du temps au pseudonymat ou à des contenus postés de l’étranger. En admettant que n’importe qui puisse s’exprimer de façon quasi-anonyme, on a découplé liberté et responsabilité.

Ecrit par : G. Vialy et J. Bayard 

 

 

Covid-19 : « Les journalistes ne sont pas là pour nous rassurer, mais pour nous informer »

 

Un an après le premier confinement, COJF (Conseil de l’Ordre des Journalistes France) Le Journaliste Gabriel Vialy, spécialiste de la médiatisation des questions de santé, sur le traitement médiatique hors norme de la crise liée à la Covid-19.

Comment analysez-vous l'intensité de la couverture médiatique de la pandémie de Covid-19, que ce soit sur les chaînes infos, dans les journaux télévisés ou dans la presse ? C'est la première fois qu'un sujet de santé domine l’actualité toute une année.

Il y a une très forte intensité dans le traitement médiatique, mais celle-ci n'est pas continue. On observe une nette baisse durant les mois d'été, qui sont comme une parenthèse où on est libre de faire ce qu'on veut. C’est aussi une période où il n’y a plus annonces, de conférences, etc. — et c'est assez curieux, parce que nos pays voisins nous mettaient en garde à ce moment-là.

Mais c’est effectivement la première fois qu'une épidémie nous occupe pendant plus d’un an. On peut l’expliquer par le fait qu’elle est quasiment « universelle ». D’abord du point de vue démographique : il n'y a pas forcément une population plus à risque qu’une autre — à part les personnes âgées, mais c’est moins vrai avec les variants — et ce n'est pas un comportement sexuel ou alimentaire qui fait que vous êtes plus exposé ou pas. Ensuite, du point de vue démographique, la pandémie touche l'ensemble de la planète. Ce sont ces caractéristiques inédites qui expliquent cette médiatisation. D’autres facteurs peuvent également jouer, comme l’angoisse liée à un virus que l'on ne voit pas, ou encore les nombreuses « inconnues » qui subsistent sur le plan scientifique.

Enfin, on oublie souvent que les médias sont des entreprises, et à ce titre, qu’ils ont besoin d’audience pour être rentables. Les gens sont très angoissés et ils vont avoir besoin d’informations, donc les médias produisent de l'info dont ils savent qu'elle va être consommée. De ce point de vue, il vaut mieux parler de ça que de la guerre en Syrie ou des problèmes au Mexique.

Un autre constat frappant, quand on observe les pics d'intensité de couverture médiatique, c'est que ceux-ci correspondent aux annonces de l'exécutif qui concernent les règles de notre vie de tous les jours (confinement, couvre-feu, etc.).

Ce n’est pas étonnant, car les journaux télévisés sont très accrochés aux agendas politiques, qui dominent souvent, quelles que soient les thématiques. C'est d’ailleurs pour ça que je ne suis pas tout à fait d'accord avec le fait de dire que c’est la thématique « santé » qui est traitée : c'est plutôt la politique de santé publique. Ce n’est pas le sujet sanitaire qui est traité, mais le sujet politique.

Le fait que ça touche à notre mode de vie, au vivre ensemble, etc. a eu d'autres conséquences sur le traitement médiatique : la recherche de polémiques. Lors de la conférence de presse de l’annonce du confinement à Nice, les questions des journalistes n'avaient qu'un seul objectif : trouver la faille. Un journaliste a demandé six fois s'il pouvait aller chez le coiffeur…

D’autres ont critiqué les mesures de confinement ou restreignant les déplacements dans certains départements, au motif que dans certains cas, le village d'à côté n’était pas concerné, par exemple. Ce type de limite, quel que soit le nombre de kilomètres, produit des effets de seuil, donc je ne vois pas l'intérêt de ce type de remarques.

En ce moment, certains polémiquent sur le fait que les Français seraient déresponsabilisés, infantilisés, et posent des questions aussi absurdes que « Est-ce que je peux faire une réunion à 15 chez moi ? » Il y a une épidémie, on explique qu'il faut limiter les relations sociales, ce n'est pas pour être à 15 dans un appartement !

Ces journalistes estiment peut-être se faire les porte-voix des questions qui leur sont posées sur le terrain ? 

Les journalistes essaient de relayer le fait que les gens en ont marre. Évidemment que tout le monde veut voir « le bout du tunnel » — expression régulièrement utilisée dans les médias écrits comme audiovisuels. Mais à part quelques gens très politisés, la question de la déresponsabilisation ou de l’infantilisation n’est pas très largement répandue.

On observe que la médiatisation d'un problème sanitaire n'est pas forcément corrélée avec le nombre de morts qu’il provoque. Le sida, par exemple, est beaucoup moins médiatisé depuis 1995, alors que le nombre de morts à l'échelle mondiale a doublé entre 1995 et 2003 — et baisse depuis. Concernant la pandémie de Covid-19, les JT du deuxième semestre 2020 y ont consacré 30 % de temps en moins qu’au premier semestre, alors qu'elle causait 15 % de décès en plus.

Ce n’est pas une situation extraordinaire, je l'ai toujours constatée, que ce soit sur des sujets scientifiques ou des sujets de santé. Leur médiatisation n’est pas toujours corrélée avec une actualité scientifique ou un risque. Vous avez aussi des marronniers.

Il faut éviter la comparaison avec le sida. C'est un sujet tabou qui touche à la sexualité, donc il lui est plus difficile de passer les barrières de l'espace public. Il ne faut pas oublier qu' une population et des comportements sexuels à risque ont été désignés. Même en 2021, en France, parler de la sexualité, parler de l'homosexualité, c'est parler de pratiques sexuelles.

Pour la Covid-19, ce n’est pas un comportement à risque qui va faire que vous serez contaminé, et surtout, il n’y a pas de tabou : on peut parler librement d'un problème respiratoire. C'est ça le plus important. La comparaison est donc difficile, même s’il est effectivement très étonnant de constater que la médiatisation du sida, les politiques publiques sur le sida et les campagnes de prévention ont diminué alors même qu'il y avait une recrudescence des cas. On en voit d’ailleurs les effets dans des enquêtes qui montrent que la jeune génération pense qu'il y a un vaccin — or il n’y en a pas —, pense qu’on ne meurt plus du sida — or on continue d’en mourir—, et a même oublié les modes de transmission.

Quels sont les autres facteurs qui peuvent jouer dans la médiatisation d’un problème sanitaire ?

Il n'y a pas de corrélation entre la prégnance scientifique d'un problème sanitaire et sa médiatisation. Celle-ci va être liée à l'acceptabilité du discours médiatique dans l'espace public, et aussi au contexte de société. L’emballement médiatique autour de la Covid-19 est mondial, donc on suit ce que font nos voisins ou d’autres pays, notamment les États-Unis. Enfin, il y a une règle bien connue : plus un sujet touche le public cible d’un média, plus celui-ci va le traiter. Et moins le public cible est concerné, moins le sujet sera traité.

Les indicateurs retenus par les JT pour suivre l’évolution de la pandémie semblent avoir évolué. Au début, l’attention se portait sur le nombre de décès, de nouveaux cas positifs ou de patients en réanimation. En ce moment, on entend surtout parler des réanimations et du taux d’incidence, et guère du nombre de morts — le franchissement des 90 000 morts en France, le 12 mars dernier, n’a ainsi fait l’objet que d’une mention rapide, sans affichage particulier à l’écran, dans le JT de 20 h de France 2.

Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, la façon de compter les morts a évolué, et c’est difficile de savoir comment ils sont réellement comptés. Ensuite, l’annonce quotidienne du nombre de morts pouvait être anxiogène pour la population — raison pour laquelle il n’y a plus le point presse quotidien de Jérôme Salomon. Peut-être y a-t-il aussi une forme d’acceptation ou de résignation. Et il y a sans doute une décision politique, car il est difficile de dire que, malgré plusieurs centaines de morts par jour, vous ne confinez pas, vous ne fermez pas les écoles. Le gouvernement est pris dans une impasse communicationnelle : quoi qu’il fasse ou annonce, il sera sous le feu des critiques. En tout cas, on dispose des chiffres, par exemple sur l’application TousAntiCovid ou sur le site de Guillaume Rozier, Covid Tracker. Si un journaliste veut les chercher, ils sont disponibles.

Dans les enquêtes d'opinion sur la perception qu'ont les Français du traitement médiatique de la pandémie, comme dans les témoignages que nous avons recueillis, il est souvent reproché à  l'information d’être trop anxiogène.

On m’a posé la question dans l’émission « Le téléphone sonne » (France Inter) : « Les journalistes ne doivent-ils pas être là pour nous rassurer ? » La réponse est non, ce n'est pas leur rôle ! Ils sont là pour informer. Les rédactions veulent-elles éviter ce reproche? Je ne sais pas. Le manque de temps à disposition des journalistes peut également jouer. Parce que maintenant, il faut aller chercher les chiffres et savoir lire les statistiques. Alors qu’au printemps dernier, les points quotidiens fournissaient tous les chiffres, avec une infographie qui restait à l’écran.

La façon dont les chaînes de télévision présentent les différents indicateurs vous semble-t-elle satisfaisante ? On a pu voir par exemple, dans une séquence de l’émission « 24h Pujadas » (LCI) devenue virale sur Twitter, l’épidémiologiste Catherine Hill s’emporter contre une présentation trompeuse.

Effectivement, le problème de l’utilisation de séries statistiques ou de l’infographie, c’est qu’il faut en maîtriser la technique. Il faut non seulement comprendre comment les chiffres sont produits, mais aussi comment les transformer en graphes ou cartes de façon scientifique. L’utilisation des chiffres est une constante sur tous les sujets de santé, quel que soit leur angle (politique, médical, prévention, etc. ). C’est une technique journalistique assez ancienne, où l’on pense établir une preuve à travers des chiffres alors même que ces chiffres ne sont la plupart du temps pas sourcés, que l’on ne communique pas de marge d’erreur ni de légende pour les comprendre. Sur ce sujet, qui est un réel problème, il faut distinguer le manque de formation des journalistes au maniement des statistiques et à l’infographie en général, et le manque de temps et les conditions de travail auxquels sont soumis les journalistes. C’est encore plus problématique pour les chaînes d’information en continu. L’information ne peut pas, ne devrait pas se traiter en continu et dans l’immédiateté. 

Un autre élément observable, c'est la quasi disparition de Didier Raoult, alors qu’il avait été très présent au printemps dernier. Comment interprétez-vous cela ?

Il paye ses erreurs. Rappelons-nous qu’il soutenait, en avril 2020, que c'était terminé ; il a dit qu’il n’y aurait pas de deuxième vague, on en est à la troisième ; il avait annoncé qu’il n’y aurait pas de confinement, il y en a. Il paye aussi ses différends avec le Conseil de l'ordre des médecins [les deux parties ayant chacune porté plainte contre l’autre, NDLR]. Il s’est probablement mis en retrait pour préparer sa défense. S’il est désormais invisible dans les médias « traditionnels », il est encore très cité sur les réseaux sociaux, et il est devenu le héros des « complotistes ».

C’est aussi un problème de déontologie pour un journaliste. Donner la parole à quelqu'un dont vous savez pertinemment que ce qu’il dit peut, scientifiquement, être remis en cause à tout moment et qui est, par ailleurs, sous le coup d'enquêtes, ça peut refroidir les rédactions. Sans oublier qu’il a une relation compliquée avec les journalistes, il les a quand même insultés à tour de bras en les traitant d’idiots et en leur disant qu'ils n'étaient pas capables de comprendre son discours…

D’autres figures ont émergé, parfois favorisées par leur position institutionnelle, comme la professeure Anne-Claude Crémieux, qui maitrise bien le sujet et est proche des pouvoirs publics. D’autres experts émergent parce qu'ils sont là en tant que représentants de certains intérêts et qu'ils essaient de peser sur le débat public.

Mais au-delà des individus, je regrette que les journalistes ne décryptent pas non plus les chapelles et les lobbies. Prenons la polémique sur les vaccinodromes : très peu de journalistes ont rappelé que les médecins y sont opposés. Or ce sont eux qui, depuis le départ, s'opposent de façon très dure au gouvernement à ce sujet, Gérald Kierzek [médecin urgentiste, directeur médical de Doctissimo, et intervenant régulier sur TF1 et LCI, NDLR] le premier.

De même, il serait utile de rappeler d’où parlent les experts. Un épidémiologiste travaille sur des séries statistiques, donc il raisonne à partir des chiffres, qui explosent. Un chef de service de réanimation insistera sur l’occupation des lits. Il est donc logique qu’ils réclament un confinement strict. Mais celui qui prend la décision doit prendre tout ça en compte, plus l'acceptabilité, les problèmes économiques et les problèmes psychologiques.

Au début de la pandémie de Covid-19, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’inquiétait vivement du risque de désinformation. Avec un an de recul, les craintes étaient-elles justifiées ?

Les craintes étaient justifiées, mais la désinformation me semble à la fois inévitable en régime démocratique, c’est le principe de la liberté d’expression — sous réserve de ne pas verser dans l’injure, la diffamation, ou la pratique illégale de la médecine —,  et minime quantitativement. S’il peut arriver à tout le monde de tomber par hasard sur un site complotiste, ne croient à ces discours que les personnes qui sont prédisposées à y croire. Ces contenus vont surtout alimenter ou conforter ces prédispositions.

D’une façon générale, diriez-vous que les médias ont traité de façon claire et satisfaisante la pandémie au cours de l’année écoulée ?

Je mets à part les JT, qui ont un traitement routinier, très factuel et très lié à l'agenda politique, avec un relais des politiques de prévention — chaque fois qu'il y a un médecin dans un JT, c'est pour rappeler les bons gestes, etc.

Pour ce qui est des émissions de télévision, cela dépend. Si on prend les magazines télé généralistes, les talk-shows comme « C à vous », les chaînes d'information en continu, j’ai trouvé que, durant le premier confinement, ils ont fait montre d’une certaine retenue. Mais aujourd’hui, il me semble qu’ils ont retrouvé leurs vieux démons : la polémique au détriment de l'information, la volonté de faire des « coups » avec des experts ou des personnalités qui poussent des « coups de gueule », sans mise en perspective.

Prenez le secteur de la culture. Évidemment, la situation est très difficile pour les gens qui travaillent dans ce secteur, pour les intermittents, etc., et ces situations méritent d’être relayées, mais elles ne sont pas décryptées. D’autres secteurs sont également très touchés : la restauration, l’hôtellerie… Et l’Italie, qui avait rouvert les lieux de culture en février, les a fermés en mars. Imaginons que le gouvernement dise : rouvrons tout, et que le bilan soit à la rentrée de 250 000 morts. Les mêmes qui auront réclamé l'ouverture des lieux de culture dénonceront l'irresponsabilité du gouvernement. S'il y a contamination dans ces lieux-là, qui voudra en assumer la responsabilité ? 

Autre exemple : les comparaisons entre pays sur le nombre de morts. Aux États-Unis, c’est impressionnant : plus de 550 000 morts. Mais rapporté à leur population, ils en ont eu moins que nous [1687,4 morts / million habitants, contre 1427,7 pour la France au 1er avril 2021, NDLR]. Il est donc important de veiller aux effets d’échelle.

On peut aussi parler des vaccins. Le Royaume-Uni a été parfois cité en exemple ces dernières semaines, avec un chiffre de vaccinations plus élevé qu’en France. Mais les chiffres avancés concernaient la première injection. Or, si on regarde les deux injections, les chiffres sont comparables, et le Royaume-Uni n’est pas à l’abri d’un problème d’approvisionnement de doses pour la deuxième injection… Il faudrait expliquer ce genre de choses, pour éviter de nourrir des polémiques inutiles.

Ecrit par : G. Vialy et J. Bayard  

 

 

Les journalistes doivent faire face aux risques psychosociaux et physiques d’une profession soumise au stress

Les risques professionnels des journalistes

Les journalistes doivent faire face aux risques psychosociaux et physiques d’une profession soumise au stress à la fois de la rapidité et de la qualité de l’information à délivrer, aux dangers des déplacements fréquents, notamment en zones de conflits armés, ou proches de catastrophes ou d’accidents, d’attentats ou relatifs à des faits divers dramatiques.

Les journalistes exercent un métier soumis à des contraintes physiques, organisationnelles et relationnelles susceptibles de générer des risques lorsque ces situations dangereuses ne font pas l’objet d’une prise de conscience et de mesures de prévention adéquates, ce qui est fréquent : l’excès de charge mentale qui génère ces conditions de travail stressantes, sont en particulier responsables de risques psychosomatiques (maladies cardio-vasculaires, troubles musculo-squelettiques, troubles gastro-intestinaux, états d’anxiété et dépressifs, addictions). Par ailleurs, pour les postes sédentaires, soumis à différentes sources de bruit (usage intensif du téléphone…), aux contraintes visuelles et ergonomiques du travail sur écran, à des astreintes de productivité, de contrôle, dans des locaux confinés, le journaliste est exposé principalement à des risques de troubles visuels, auditifs et musculo-squelettiques. 

Les principaux risques du métier de journaliste

Les journalistes sont des acteurs essentiels des processus d’information des citoyens, que cette information soit politique, sociale, économique, événementielle, technique, sportive, artistique … : investigation, recueil, compilation, analyse et synthèse, puis mise en forme et mise à disposition des différents médias qui les communiquent sous diverses formes (écrite, audiovisuelle, internet), par l’intermédiaire des entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse.

L’activité peut être sédentaire et s’exercer dans des bureaux de presse, studios radio ou télévision, ou sur le terrain dans les lieux ou se produisent les événements à relater.

De nombreuses contraintes psychologiques, organisationnelles et physiques concernent la profession de journaliste, d’intensité variable selon la nature du poste, avec dans certains cas nécessité d’un fort investissement et engagement personnel (journaliste d’investigation, reporter en zones de conflits …).

L’évolution du journalisme et des médias, marquée par les transformations induites par les nouvelles technologies informatiques et de communication et les changements du contexte commercial et concurrentiel, a tendance à renforcer ces contraintes.

Les risques psychologiques

Gérer à la fois fiabilité, pertinence et rapidité de l’information est un défi permanent avec des exigences accrues à la fois de productivité et de qualité parfois incompatibles.

Par ailleurs, le journaliste peut être exposé à des pressions, manipulations, intimidations tendant à travestir ou biaiser ou cacher l’information : ces errements éthiques imposés sont sources de détresse morale et de perte d’identité professionnelle. Il peut s’y ajouter des violences verbales, éventuellement psychiques (harcèlements …), une forte pression médiatique et des atteintes à la vie privée.

Le contact direct et fréquent avec des événements dramatiques (catastrophes naturelles, industrielles ou humanitaires, accidents, attentats …) soumet le journaliste à des manifestations d'usure professionnelle : on parle de stress vicariant pour désigner ces troubles compassionnels. Le traumatisme dit « vicariant » résulte d'une surcharge émotionnelle résultant d’une profession au contact permanent avec des personnes en détresse (cadavres, blessés, sinistrés, victimes etc.) ou le journaliste est confronté à des situations faisant éprouver des émotions intenses. Ces confrontations constantes avec la souffrance d'autrui, à l’exposition répétée à la vision et/ou aux récits d’accidents ou d’actes de violence … peuvent être à l'origine d'une souffrance psychologique plus ou moins importante et plus ou moins tardive appelée traumatisme vicariant (ou secondaire par effet de contagion du traumatisme). Les effets de la traumatisation vicariante se cumulent avec le temps et peuvent conduire à l'état de stress compassionnel. 

De plus, la violence personnellement adressée au journaliste, agressions verbales ou physiques causées par des personnes présentes sur les lieux (hooligans, manifestants, « casseurs », témoins interviewés …), constitue aussi un risque et induit un stress important lors d’agressions régulières et répétées.

Les conséquences de l’exposition à ces agressions psychiques et physiques sont évidemment exacerbées pour les reporters de guerre et il faut en particulier considérer les effets induits qui peuvent survenir après le conflit et pas seulement ceux pendant la présence sur le terrain (Post Traumatic Stress Disorder PTSD).

Les risques organisationnels

Dans un contexte journalistique de plus en plus contraint (information continue, difficultés économiques de la presse), avec des critères d’instantanéité de l’information de plus en plus exigeants, les systèmes organisationnels demandent aux journalistes une grande réactivité, productivité et compétitivité, avec comme conséquence éventuelle une surcharge mentale due aux méthodes de management et à la gestion des ressources humaines mises en œuvre : 

- une pression continue à la fois sur les délais et sur la qualité de service,

- une flexibilité imposée avec des horaires de travail importants, débordant à domicile le soir et sur les week-ends, ou nécessitant un travail de nuit, ou très variables selon l’actualité,

- une multiplicité des tâches concomitantes,

- un nomadisme accru avec des déplacements longs et fréquents et un éloignement du domicile,

- la disponibilité constante par le truchement du téléphone ou de l’ordinateur portable,

- l’accomplissement de tâches contraires à la conscience professionnelle et/ou à l’éthique personnelle,

- des délais continuellement serrés (imprévus, urgence permanente).

Pour les journalistes en déplacement, les départs d’urgence, l’exécution de multiples tâches, la fatigue des heures supplémentaires dues au voyage, l’absence d’un temps de récupération suffisant pour gérer les suites professionnelles d’un long voyage et pour s’adapter au jet lag éventuel, sont générateurs de stress et en particulier d’accidents de la route. 

Pour les journalistes sédentaires, les risques organisationnels peuvent avoir aussi d’autres origines, que l’on rencontre souvent dans les situations de travail de bureau, ou la promiscuité prolongée dans un espace clos, les travers de relations hiérarchiques abusives, les favorisent : stress managérial (organisation, contrôle et rythme de travail), stress lié à tension émotionnelle de la relation hiérarchique, stress du harcèlement moral ou sexuel. Certaines méthodes de management dans le milieu des médias de communication provoquent des risques psychosociaux en augmentation, qui nuisent à la fois à la santé des journalistes et à l’efficacité de l’entreprise de presse qui peut aisément devenir pathogène avec des abus d’autorité totalement irrespectueux de la personne.

De même, le stress de la précarité de l’emploi s’accroit avec le recours de plus en plus important aux pigistes dans une profession qui externalise désormais une grande partie de sa flexibilité.

Les conséquences du stress des journalistes

L’impact sur la santé au travail se manifeste lorsqu’il y a une surcharge mentale, mais sa mesure est bien difficile à établir et, de plus, il est difficile pour un journaliste d’en prendre pleinement conscience.

Par ailleurs, les surcharges mentales sont ressenties de manière très diverses selon les individus. Les seuils dans le niveau de contrainte psychique, au delà desquels l’astreinte qui en résulte est excessive, n’existent pas de façon absolue et mesurable et ne se manifestent que par leurs effets a posteriori : baisse de la performance, apparition de symptômes de fatigue, hausse des incidents (oublis...) ou d’accidents (notamment routiers), agressivité voire harcèlements envers son entourage professionnel ou familial, consommation de psychotropes. Il y a une grande variabilité individuelle, selon les capacités d’acquisition et d’organisation, la structure psychique, et l’apprentissage ou l’entraînement comme pour la surcharge physique. 

De nombreux éléments mettent en évidence les effets pathogènes d’une surcharge mentale chez les journalistes : le stress et l’épuisement professionnel (burn-out) sont les conséquences néfastes des surcharges mentales. En cas de surcharge mentale prolongée, l’individu conserve son équilibre psychique dans un environnement stressant avec une stratégie individuelle de défense de répression psychique, conduites addictives et somatisations. 

Le stress permanent a des effets destructeurs et pathogènes sur les individus qui y sont soumis : la confirmation chez les journalistes de la réalité croissante des atteintes à la santé psychique et de ses effets somatiques par le stress (maladies cardio-vasculaires, troubles musculo-squelettiques, troubles gastro-intestinaux, états d’anxiété et dépressifs…) et du rôle des facteurs organisationnels dans les entreprises de presse constitue une alerte majeure de santé au travail.

Les risques physiques des journalistes

Les risques liés aux déplacements professionnels

L’alimentation pendant les fréquents déplacements, irrégulière, déséquilibrée, trop abondante et/ou alcoolisée est un facteur d’obésité et de risque cardiovasculaire pour les journalistes.

L'alcoolisme au travail n'épargne aucune classe socioprofessionnelle, et les journalistes ont tendance à la prise d'alcool dans un contexte professionnel : boire en réunion avec les invités, les notables … est en France une habitude sociale. Une consommation excessive et régulière, peut mener à une dépendance provoquant des atteintes plus ou moins réversibles de l’état de santé. D’autres addictions, les drogues (notamment, le cannabis, la cocaïne) et les médicaments psychotropes sont venues s’ajouter aux substances entrainant des troubles du comportement et l’augmentation et la banalisation de la consommation de ces produits en font une question qui doit aussi être prise en compte. Par ailleurs, les reportages à l’extérieur sont susceptibles de se dérouler dans des conditions météorologiques éprouvantes (froid ou chaleur extrêmes, intempéries violentes) et dans un environnement hostile suite à des incendies, inondations, tremblements de terre, éruptions volcaniques, bombardements, balles perdues, agressions crapuleuses ou terroristes … (chutes de plain-pied sur un sol inégal, boueux …, chutes d’objets depuis des bâtiments dégradés, morsures ou griffures d’animaux, blessures ...).

Le risque routier

De nombreux journalistes prennent la route avec des véhicules de tourisme pour se rendre sur les lieux de leur reportage, que cela soit de façon occasionnelle ou régulière avec des exigences d’efficacité et de ponctualité qui peuvent interférer avec les contraintes de la circulation routière (embouteillages, Code de la Route..) et générer des situations stressantes et des accidents de la route. 

Le risque routier a souvent des origines multifactorielles, liées à l’environnement (état des itinéraires, travaux, météo,..), au véhicule (adaptation, équipement, entretien, ...), à l’organisation (horaire, préparation, utilisation du téléphone au volant, ...) et bien sur au conducteur (respect des règles, fatigue, vigilance ...). Le comportement au volant est lié à des adaptations, des arbitrages que doit réaliser le conducteur entre les éléments émanant de la situation de travail et la situation de conduite. Le conducteur doit prendre en compte les contraintes de travail : tous les aléas et dysfonctionnements de la situation de conduite rencontrés, l'oblige à réguler, adapter son comportement en mettant en balance les injonctions des deux situations. 

Les risques des voyages internationaux aériens

Les voyages internationaux aériens présentent différents risques pour la santé selon l’état sanitaire et le pays. Pour tous les longs voyages professionnels, la fatigue est liée aux levers précoces et aux arrivées et retours tardifs qui aboutissent à des amplitudes horaires de travail très importantes, empiétant souvent sur les nuits et les week-ends de repos. De plus, cette fatigue est accentuée par le décalage horaire (jet lag) qui désynchronise les heures de repas et de sommeil, engendrant des troubles de l’humeur, de la vigilance, de la digestion.

Pour les voyages dans les pays tropicaux ou équatoriaux, il faut compter de plus avec les changements d’hygrométrie, de température et avec la pollution atmosphérique dans les grandes métropoles des pays en voie de développement, prédisposant aux infections ORL, aux allergies respiratoires.

Le journaliste à l’international est aussi exposé à diverses maladies infectieuses, dont les plus fréquentes dans les conditions d’un voyage de reportage sont le paludisme transmis par les piqures de moustiques, la diarrhée par ingestion d’aliments ou de boissons contaminés et les maladies sexuellement transmissibles (hépatites B, C, syphilis, SIDA…) qui ont une forte prévalence dans beaucoup de pays africains, du Sud-est asiatique et d’Amérique Latine. Enfin, il ya des risques spécifiques au mode de transport aérien (otites, éventuellement phlébite, décompensation d'une pathologie préexistante).

Les risques chimiques et radiologiques

Les lieux de reportage sont possiblement contaminés par des agents chimiques ou radiologiques, lors des reportages concernant les catastrophes industrielles (type Seveso, Fukushima...), ou les zones de guerre chimique ou nucléaire.

Les risques liés au travail sédentaire

Dans un poste sédentaire, soumis aux du travail sur écran, le journaliste est exposé principalement à des risques de troubles visuels, auditifs, musculo-squelettiques et biologiques.

Le risque visuel

Le travail fréquent sur écran sollicite fortement la vision : le mécanisme d'accommodation permanent, assuré par le cristallin et les muscles des yeux, qui permet le réglage de la mise au point de l’image sur la rétine, la convergence qui permet la fusion des deux images rétiniennes grâce à la contraction de muscles situés autour de l'œil, provoquent une fatigue oculaire après des efforts visuels prolongés. De plus, de nombreux et très fréquents défauts de l'œil (myopie, hypermétropie, astigmatisme, troubles de la convergence, presbytie) rendent l'effort oculaire plus important pour un résultat médiocre lorsqu’ils sont mal ou pas corrigés. Par ailleurs, les mauvaises conditions d’éclairage (reflets sur les écrans, éblouissement direct…), un poste peu ergonomique, aggravent la fatigue visuelle. Cette fatigue des muscles oculaires se traduit par une vue de plus en plus trouble au fur et à mesure de l'effort, des picotements et rougeurs oculaires, des larmoiements, des clignements intempestifs des paupières, des maux de tête…

Le risque auditif

Le journaliste peut très souvent travailler au téléphone avec ou sans casque, avec ou sans fil dans un bureau isolé ou dans un espace collectif, avec ou sans séparation : les casques, pour permettre de communiquer correctement avec l'interlocuteur, sont réglés souvent à des niveaux trop élevés, car le travail en bureau expose aussi à d’autres sources de bruit qui créent une forte ambiance sonore : les conversations téléphoniques des autres collègues, le bruit des ordinateurs, des imprimantes, des sonneries, et de la climatisation. Si les postes de travail ne sont pas séparés par des cloisons acoustiques, le manque d’isolation phonique génère un bruit ambiant trop souvent à des niveaux incompatibles à la fois avec un travail intellectuel et un bon confort d'écoute au téléphone avec les risques suivants : fatigue auditive, perception d’acouphènes, risque de lésions auditives et de déficit auditif temporaire ou définitif d'installation insidieuse, lié à une exposition chronique au bruit. 

Les risques de troubles musculo-squelettiques

La position statique assise prolongée, l’utilisation fréquente du clavier, de la souris et de l’écran de l’ordinateur, le travail au téléphone, génèrent des contraintes posturales au niveau du dos, du cou et du poignet. 

Il en résulte souvent des cervicalgies et des lombalgies, des affections du poignet (syndrome du canal carpien), par compression par appui sur le talon de la main. Cette compression est responsable de fourmillements dans le territoire du nerf médian sous le ligament carpien palmaire situé à la face antérieure du poignet.

La position assise immobile de longues heures favorise aussi l'apparition de pathologies comme les troubles circulatoires, le diabète, ou l'obésité, aggravée par le grignotage et/ou une restauration rapide, sans vraie pause-déjeuner.

Les risques biologiques

La longue cohabitation de plusieurs personnes dans des bureaux, une aération et climatisation des locaux défectueuses entraine une pollution de l’air : les maladies respiratoires dues aux virus et bactéries aéroportés (grippe,…) se propagent aisément au bureau, notamment lors des éternuements et de la toux. Mais des contacts cutanés fréquents avec des claviers, mobiliers, poignées de porte, combinés de téléphone, génèrent aussi des maladies digestives dues aux virus et bactéries manuportés (gastro-entérite…).

D’autre part, la consommation de tabac dans les lieux de travail fermés comme les bureaux présente un risque respiratoire non seulement pour le fumeur mais aussi pour la santé des autres employés par tabagisme passif. Même dans les bureaux individuels, des problèmes entre fumeurs et non-fumeurs se posent puisque le personnel d’une entreprise est rarement isolé dans un bureau, les allers et venues exposent finalement les non-fumeurs à la fumée de tabac.

Ecrit par : G. Vialy et J. Bayard 

Les media, 4ème pouvoir ?

1 - Les media, définition

Le mot média dérive de medium, médian, médiateur, intermédiaire. Grammaticalement il est le pluriel de médium. A ce titre, étant déjà le pluriel de medium (latin), il ne nécessite pas de terminaison "s" dont on l'affuble généralement.
Les media sont des moyens de communication, donc des intermédiaires, entre deux (ou plusieurs) groupes d'individus : affichage, livre, journaux, revues, cinéma, radio, télévision, internet...

La nature intermédiaire des media tient au fait que A veut communiquer avec B mais une communication directe entre A et B est rendue impossible ou difficile pour différentes raisons : B est éloigné de A ou bien A et B ne parlent pas la même langue, ou encore B est multiple (B1, B2, B3, ...) et dispersé.
Les media étaient donc des intermédiaires dépendants de l'existence même de A et de B ainsi que de leur volonté de communication.
Si aujourd'hui, les media ont toujours besoin de A et B, ils ont acquis un savoir-faire tel qu'ils sont devenus incontournables dans tout processus de communication de masse (d'où le terme mass-media). Ils ont de ce fait acquis une certaine autonomie, voir une autonomie certaine.

C'est précisément cette autonomie, et les comportements qui vont avec, qui autorise leur qualification de quatrième pouvoir, après le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. D'où leur vient ce nouveau pouvoir ?

2 - Le pouvoir médiatique

Le pouvoir des mots...

Les mots ne sont pas seulement que des signes écrits ou des sons émis. Leur caractéristique essentielle est qu'ils sont porteurs d'un contenu. Chacun sait que, dits d'une certaine manière et dans un certain contexte, ils peuvent être doux et agréables; et aussi que, dits autrement et dans un autre contexte, ils peuvent être blessants. Leur arrangement peut en faire une poésie ou... un pamphlet.

L'invention de l'imprimerie a permis leur utilisation pour une communication écrite (livres, journaux, lettres, affiches, tracts, réclames...).

L'invention de la radio a rendu cette communication plus rapide et plus performante en ajoutant aux mots un timbre de voix et des intonations.

Puis la télévision, le cinéma... et maintenant l'ordinateur, la tablette, le smartphone... ont ajouté aux mots la magie de l'image.

Internet ajoute à la communication les caractères d'instantanéité, d'universalité et de réversibilité (interactivité).

Le super-pouvoir des images...

L'image transmet instantanément une quantité énorme d'informations. Elle peut être, tout aussi instantanément, interprétée par tout individu quels que soient sa langue ou son statut social. Sa caractéristique essentielle est sa capacité à générer instantanément une émotion, que cette émotion soit positive ou négative.

Sa deuxième caractéristique est de porter en elle un pouvoir de fascination. Cette fascination empêche, ou rend beaucoup plus difficile, l'expression d'une critique.

De telles caractéristiques donnent à l'image une supériorité écrasante sur la parole ou les mots. La narration d'un événement heureux, ou d'un accident, ou d'un fait de guerre n'aura pas la force d'impact que la même narration accompagnée d'images, surtout si les images sont "vivantes" (vidéos).

En plus de la charge émotionnelle qu'elle transporte, l'image donne à l'événement un caractère d'authenticité : "C'est vrai! je l'ai vu". Le marketing commercial s'est emparé de cette propriété en affichant dans les rayons des magasins les stickers "Vu à la Télé".

L'usage de ce pouvoir ne présente pas que des avantages. L'image peut devenir un puissant outil de manipulation. Les publicistes l'utilisent dans leurs spots pour créer une atmosphère favorable avant même la révélation du produit; une atmosphère qui amène le désir de savoir, qui mobilise l'attention, qui rend perméable. A tel point que le temps du spot publicitaire consacré au produit lui-même peut devenir dérisoire par rapport au temps de mise en condition. Ne vous est-il jamais arrivé, en regardant ces pubs, de vous demander "...mais où veulent-ils en venir?"

Des images identiques peuvent, par des techniques de manipulation et de présentation, raconter (ou suggérer) des histoires très différentes les unes des autres, comme le montre l'effet Koulechov décrypté ici.

Le pouvoir des écrans sur nos enfants

Nos enfants sont les plus vulnérables au pouvoir médiatique, à travers les jeux et vidéos sur les écrans d'ordinateur, mais aussi et surtout sur les écrans des tablettes et smartphones. Nous vous renvoyons au reportage du magazine "Envoyé spécial" qui montre comment les industriels entretiennent l'addiction aux jeux sur smartphone et pourquoi des scientifiques dénoncent leur impact sur le cerveau de l'enfant.

Le pouvoir médiatique associé au pouvoir de l'argent

Les media télévisuels mettent en oeuvre d'énormes moyens techniques et humains pour la production d'images. Ces moyens nécessitent évidemment des moyens financiers en rapport, ce qui implique deux conséquences :

  • Les media privés sont détenus par de riches propriétaires qui s'en servent pour véhiculer leur image et celle de leurs entreprises commerciales.
  • La rentabilité d'un media passe obligatoirement (et quasi exclusivement) par le recours à la publicité. Ce qui amène à subir des contraintes imposées par les annonceurs en terme de philosophie générale et comportementale du média (ce que l'on appelle la ligne éditoriale).

Le pouvoir de l'argent amène ainsi à choisir, parmi les informations disponibles, celles que le media va développer au détriment d'autres. Ces développements préférentiels qui maximisent telle information et minimalisent telle autre orientent l'information et, ce faisant, manipulent l'opinion.

Ce qui vaut pour l'information, vaut, évidemment, pour la diffusion du divertissement ou de la culture.

Les propriétaires des instituts de sondage

CSA

Groupe Bolloré

BVA

Groupe Bolloré + Drahi + Rothschild

IFOP

Laurence Parisot, actionnaire majoritaire

IPSOS

Pinault + Fidelity (fonds d'investissement américain)

SOFRES

Voir encadré ci-dessous

Justifications détaillées sur le site "Parti de Gauche Midi Pyrénées".

On comprendra aisément que les résultats des sondages puissent être "corrigés" dans un sens qui soit favorable aux patrons de ces instituts, notamment en matière électorale (mais pas que).
C'est pour cela aussi que les résultats sortis des urnes diffèrent souvent beaucoup des prévisions annoncées par les sondages préélectoraux.

SOFRES : selon Wikipedia (extrait)

1963 : création de la Sofres par Pierre Weill.
1997 : Taylor Nelson AGB et la Sofres fusionnent (=> TNS)
2008 : rachat du groupe TNS par WPP pour 1.5 milliard d'euros. Il intègre Kantar, le réseau mondial Etudes de WPP.
août 2015 : TNS Sofres s'installe à Paris, 3 avenue Pierre Masse, dans le XIVe arrondissement.
2016 : la société prend le nom de Kantar TNS. Sébastien Auzière en est le vice-président.

Note : Sébastien Auzière est le fils aîné de Brigitte MACRON

3 - Information / manipulation

Comme il a été dit ci-dessus, le financement des médias dépend de capitaux privés qui donnent aux apporteurs le pouvoir de modifier l'information en fonction de leurs intérêts.

Audimat
Les recettes publicitaires constituent le "nerf de la guerre" de la plupart des media. Publicité rime avec audience, c'est-à-dire masse des individus qui suivent le media et susceptibles d'être touchés par les spots publicitaires qui y sont diffusés. D'où la course à l'audimat nécessitant la mise en oeuvre de techniques de racolage qui risquent de se substituer à l'information objective. La course à l'audimat influe sur le choix des sujets, le développement de chacun des sujets, leur mise en scène pour être à la une ou au contraire être relégués au négligeable.

Interactivité et représentativité
L'auditeur est de plus en plus invité à intervenir à l'antenne pour donner son avis, le téléspectateur est invité à des émissions de débats politiques. Mais est-ce là la démocratie directe ou une mascarade de démocratie ? Tout est fait pour que l'auditeur ou le téléspectateur intervenant soit perçu comme le représentant d'une classe d'opinion. En réalité les intervenants extérieurs sont filtrés avant même leur intervention. Dans certaines émissions ils sont préalablement conditionnés pour réagir aux moments propices en applaudissant ou pour brandissant de petites pancartes expressives et préparées à l'avance. Difficile, dans ces conditions d'être représentatif d'une quelconque catégorie de téléspectateurs; représentatif plutôt de la capacité manipulatrice du media en question.

Les techniques
L'audience (le lectorat pour la presse écrite) est l'objectif à atteindre. Pour y arriver, la seule diffusion d'un contenu ne suffit pas; il faut encore que ce contenu soit "habillé" conformément à l'image que le media veut donner; conformément aussi à sa ligne éditoriale.

Une technique très utilisée pour donner de la crédibilité au contenu est le recours aux "experts", ces supposés spécialistes du sujet en cours. Ces experts s'avèrent être souvent de bien piètres spécialistes, ainsi que le montre cet article de Mathias Reymond relevé sur le site ACRIMED. Les experts sont là pour accréditer le message que le media en question veut faire passer.

D'autres techniques, plus simples et moins coûteuses, sont mises en oeuvre pour atteindre l'objectif de persuasion. La répétition des slogans, la mise en valeur de certains détails et l'omission d'autres, la création d'une illusion d'unanimité, l'utilisation de la conformité des propos à la loi, à une coutume, à l'opinion... sont autant de moyens mis en oeuvre pour augmenter l'audience et "vendre" le media aux annonceurs.

4 - Media et politique

Le pouvoir acquis par les media depuis quelques décennies est particulièrement visible dans le domaine politique.

Au temps de l'ORTF (disparue en 1974), les chaînes de télévision étaient sous le contrôle de l'Etat. On se souviendra des discours solennels et ex-cathedra du Général de Gaulle. Les temps ont bien changé depuis. La 1ère chaîne de télévision TF1 a été privatisée en 1984 et d'innombrables chaînes privées ont ensuite vu le jour. Leur influence n'a cessé de grandir au point d'être aujourd'hui incontournables, y compris par le pouvoir politique lui-même. Leur influence s'exerce au quotidien sur l'action politique :

  • Par la façon dont ils rendent compte de la mise en oeuvre de la politique intérieure de l'Etat,
  • Par le compte rendu qu'ils font de la politique extérieure et des conflits en cours,
  • Par leur façon de présenter telle ou telle manifestation,
  • Par le compte rendu des débats nationaux,
  • Par le jeu des commentaires et des invitations à débattre...

Dans le débat politique avec les citoyens les media poussent les hommes politiques à la starisation. Les débats politiques publics qu'ils organisent prennent alors l'allure de shows télévisés qui visent plus l'attraction d'audience que la diffusion des idées.

Lors des primaires des présidentielles 2017 il était comique d'observer la soumission des candidats à leurs intervieweurs par des petites phrases révélatrices : "Si vous le permettez M...., j'aimerais ajouter..., sans vouloir vous offenser...." montrant que ce ne sont pas les politiques qui sont maîtres du jeu, mais bien les journalistes.

La dépossession des politiciens passe par l'intrusion dans leur vie personnelle, et parfois intime. Leur habillement, leur look, leurs fréquentations, deviennent plus importants que le contenu de leur discours politique. Ce qui amène à une dépolitisation des débats pouvant aller jusqu'à l'indifférence du public au contenu. Le public ne retiendra alors que : "elle a été bonne", "il a été mauvais"...

L'exercice de ce pouvoir médiatique oblige les politiciens eux-mêmes à utiliser les techniques de communication en faisant appel à des conseillers en communication. Nous sommes passés à l'ère de la politique spectacle.

Le résultat en est que, pour être performant, la forme (l'émotionnel, le populisme...) devient plus important que le fond (analyse, raisonnement...).

A titre d'exemple, voici ce qu'en dit Jean-Luc Mélenchon à propos des "Matinales de France Inter"

5 - Media et opinion publique

On pense forcément comme son journal habituel;
sinon on en changerait!

Comme déjà dit, la rentabilité d'un média (sauf pour les quotidiens, de plus en plus rares, qui vivent des abonnements de leurs lecteurs) passe par la publicité. Plus l'auditoire est important, plus on peut vendre de spots. Et en corollaire, plus il y a de pub, plus les annonceurs peuvent vendre ce qu'ils ont à vendre. Dit autrement, tout media qui vit de la publicité est nécessairement "un pousse à la consommation".

Ce qui amena (en 2004) Patrick Lelay PDG de TF1 à définir ainsi l'objectif des programmes : "Nos émissions ont pour vocation de rendre [le téléspectateur] disponible : c'est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages". Le but du media n'est donc aucunement d'informer objectivement le téléspectateur, pas plus que de perfectionner sa culture. Le but est de le divertir agréablement pour qu'il soit réceptif aux "messages"; autrement dit de ramollir son cerveau, de le rendre disponible et perméable, et autant que faire se peut, de réduire au mieux son esprit critique. Donnez-leur du pain et des jeux! vous connaissez la célèbre formule...

Les media fonctionnent souvent de pair avec une autre institution : le sondage d'opinion. Le sondage peut avoir diverses fonctions :

  • Il permet à son commanditaire d'avoir les réponses aux questions qu'il se pose : l'image qu'il a dans l'opinion, ou bien ce que pense l'opinion de telle mesure politique, etc.
  • Il permet surtout au media d'adapter le contenu diffusé à son auditoire et aussi de déterminer les inflexions à apporter à sa ligne éditoriale pour toucher et conquérir une part plus importante de public.
  • Il peut encore utiliser les résultats pour exercer des pressions sur le gouvernement ou la classe politique. Il est alors utilisé à l'instar des manifestations de rue visant à obtenir des avantages ou à éviter un désavantage.
  • Il est aussi utilisé pour tenter de forger l'opinion publique dans un sens favorable au media qui le commande, en matière électorale notamment. Son utilisation vise alors à faire croire que le résultat annoncé par le sondage est un résultat déjà acquis et qu'il ne sert à rien de continuer à être contre. Nous sommes là dans la manipulation à l'état pur...

Il faut noter que, sur ce plan, (à force peut-être de manipulation des résultats?) de plus en plus de sondages se trompent souvent : Ils se sont trompés sur le résultat de la consultation des britanniques sur le Brexit, sur l'élection de Trump aux USA, en France sur le résultat des primaires de droite aux présidentielles de 2017.

6 - Faut-il se méfier des media ?

L'homme est doté d'une capacité de réflexion qui lui permet d'exercer son sens critique. A l'instar des questions qu'il se pose avant l'utilisation d'un médicament, ou au moment de l'achat d'un simple produit alimentaire, il devrait se poser des questions similaires sur toute information qui vient nourrir son intellect.

"Mais, me direz-vous, on ne peut pas en permanence se méfier de tout, suspecter tout, se poser des questions sur tout..."

Non! Il ne s'agit pas de se mettre la pression pour être stressé par tout et à chaque instant. Nous n'avons pas besoin d'être en éveil permanent pour savoir réagir de façon réflexe à un danger qui se présente dans la vie quotidienne. Ce qui est souhaitable c'est que le réflexe de précaution vis à vis de l'information soit acquis dès le plus jeune âge comme on apprend à se méfier du feu, de l'eau ou d'autres dangers. Se méfier du feu ou de l'eau ne signifie pas que tout feu ou toute eau est dangereuse... à condition que l'on soit en capacité de discriminer de façon réflexe entre l'utile et le dangereux. Une fois ce réflexe de questionnement installé, le cerveau sait faire le reste automatiquement pour enclencher l'analyse systématique. En ce qui concerne le danger des media, il faut bien reconnaître que nous n'y avons pas été préparés, ni dans la famille, ni à l'école.

Lorsque nous décelons une information douteuse, nous avons toujours la possibilité d'en parler autour de nous ou d'aller chercher d'autres sources d'information, de comparer et de réagir à bon escient. Encore faudrait-il accepter que le doute soit un réflexe positif. .. et peut-être même salvateur de l'avenir de l'homme pensant.

Un cerveau non sélectif est comme un ordinateur sans anti-virus. Il est en risque permanent d'infection.

7 - Têtes à claques

Lorsqu'un(e) journaliste d'opinion interviewe un(e) invité(e) politique, la simple logique voudrait que cet interview aboutisse à un authentique éclairage des auditeurs de la chaîne audio-télé-visuelle pour que ces derniers puisssent se faire, ou puissent affiner, une opinion sur l'invité politique, sur son discours, sur son projet.

Or, une attitude de plus en plus caractéristique chez les journalistes consiste à interroger leurs invités politiques, non pas pour avoir une réponse claire aux questions posées, mais pour chercher systématiquement à mettre ces invités en difficulté. La technique utilisée consiste à poser une question puis, aussitôt le début de réponse amorcé, à interrompre, à contester, à détourner, à harceler, . .. bref, à tout faire pour obtenir la réponse souhaitée par le-la journaliste sans jamais laisser à l'invité la possibilité de répondre posément. La plupart du temps d'ailleurs l'interview tourne à la véritable cacophonie qui noie la réponse attendue par l'auditeur.

L'objectif du journaliste devrait être - par définition - d'informer. Or cette attitude ne vise qu'à faire le "buzz" du media concerné; aucunement à éclairer objectivement les auditeurs.

Parmi ces "journalistes" têtes à claques on pourra notamment écouter Jean-Michel Aphatie sur France Info le matin de 8h30 à 9h00, Ruth Elkrief et Nathalie Levy sur BFMTV, Laurence Ferrari sur i-Télé, Elizabeth Martichoux sur RTL, David Pujadas sur France 2...

8 - Communication dans le futur

Lorsque j'étais adolescent, j'ai souvent rêvé de communiquer avec mes interlocuteurs sans avoir besoin de parler; juste en ouvrant à l'autre nos cerveaux respectifs. Cette façon de communiquer a le suprême avantage de n'avoir aucun besoin de décrire sa pensée, ni de n'avoir aucun risque de déformation de la pensée au cours de la transmission : L'interlocuteur voit ma pensée exactement comme moi je la fabrique et moi je vois la sienne de la même manière. Finies les longues digressions explicatives, fini le sentiment de n'avoir pas été complètement compris. On n'échange plus par paroles; on accède directement à la pensée dans son contexte exact; on n'échange plus par mots mais par transmission instantanée de concepts.

Aujourd'hui plusieurs projets visent à transformer cette utopie en réalité. Le projet Neuralink porté par Elon Musk, le PDG de SpaceX et Tesla, vise à relier le cerveau à un ordinateur de manière non invasive. Cette technologie est sensée démultiplier les capacités du cerveau humain en lisant directement nos pensées et en les retranscrirvant sous forme de texte.

De son côté, Facebook, lors de sa conférence annuelle pour les développeurs, organisée en Californie les 18 et 19 avril 2017, a annoncé que 60 scientifiques et ingénieurs spécialistes des technologies d'intelligence artificielle travaillent déjà sur le projet de lire dans les pensées : "Nous avons l'objectif de créer un dispositif capable de taper à 100 mots par minute, soit 5 fois plus vite que ce dont vous êtes capable sur un smartphone, et ce directement depuis votre cerveau".

Si ces projets aboutissaient, ce serait un pas décisif dans la robotisation définitive de l'Homme, déjà bien amorcée par le formatage médiatique qui, déjà, ne nous permet plus de penser librement. Nous serions alors complètement dépossédés de ce qui fait notre spécificité : notre capacité à fabriquer de la pensée. Nos pensées ne nous appartiendraient plus.

Revenons à mes rêves d'adolescent. L'ouverture de mon cerveau pour partager avec exactitude mes idées sans paroles était implicitement assortie de deux conditions :

  • L'ouverture est limitée à l'interlocuteur que je choisis librement
  • L'ouverture est limitée aux contenus que j'ai librement décidé de partager.

Qu'en sera-t-il lorsque Facebook et d'autres se seront approprié nos cerveaux? Il est déjà plus que temps d'y penser... avant que notre pensée ne nous appartienne plus!

Source : Changer de bocal (03/02/2018, publié le 13/02/2018 sur La Toupie)

Ecrit par : G. Vialy et J. Bayard